Test : Detroit: Become Human (PS4)

À l’origine, Project Kara était une démo technique pour PS3 datant de 2012 et présentant une androïde ayant développé une conscience et refusant d’être désassemblée.
Ce projet a évolué pour finalement devenir « Detroit: Become Human », le 5e jeu du studio Quantic Dream et 3e issu de leur collaboration avec Sony.
Les productions de Quantic –à l’exception de leur premier jeu The Nomad Soul– ont souvent été prises sous le feu des critiques à cause de leurs scénarios pas toujours convaincants et de leur gameplay très simpliste, reposant sur l’emploi de QTE à tout bout de champ.
Voyons voir si Detroit parvient à renverser la vapeur et convaincre davantage que ses prédécesseurs.

Code Quantic

Comme son nom l’évoque assez ostensiblement, le jeu se déroule dans la ville américaine de Detroit, capitale de l’automobile américaine et lieu de naissance de RoboCop.
En 2038, les androïdes à apparence humaine de la société CyberLife sont répandus dans pratiquement tous les secteurs, tous les foyers et s’occupent des tâches que les humains ne veulent plus faire : les métiers de la vente, du secrétariat, la comptabilité, les travaux manuels ou encore, les tâches ménagères.
Il existe des modèles d’androïdes pour absolument tous les usages dans cet univers : on peut ainsi proposer aux couples ne pouvant pas avoir d’enfant naturellement d’adopter un androïde à apparence enfantine (qui ne mange pas, ne hurle pas la nuit, ne fait pas de caprices et ne coûte pas cher à éduquer, lui), et bien évidemment, des individus peu scrupuleux attirés par l’appât du gain ont vite flairé le bon filon et ont tout de suite pensé à monter des maisons closes pour faire de ces robots à apparence et comportement humains de véritables objets sexuels capables d’assouvir les moindres fantasmes sans jamais se plaindre (mais ayant pour effet d’accentuer le déclin démographique).
La conséquence la plus directe de cette révolution robotique amenée par des robots qui ne se fatiguent pas et ne se trompent jamais est un taux de chômage qui avoisine les 35%, alors même que CyberLife est la première société ayant dépassé la valorisation boursière à un billion de dollars.
Bien évidemment, certains irréductibles bio-conservateurs s’opposent frontalement à la généralisation des androïdes au sein de la société.

L’histoire de Detroit démarre au moment où certains androïdes touchés par la « déviance » commencent à développer ce qui s’apparente à une forme de conscience. Se rendant compte qu’ils sont traités comme de simples objets, certains d’entre eux décident de se rebeller, fuir leurs maîtres, mettre fin à leurs jours ou encore, blesser des humains, enfreignant ainsi allègrement toutes les lois de la robotique d’Isaac Asimov.

Comme ce fut le cas dans les précédentes productions de Quantic Dream, on incarne ici plusieurs protagonistes dont les destins vont être amenés à se croiser au fil de l’aventure.
Connor est un prototype d’androïde dernier cri, chargé d’assister la police dans les affaires concernant les déviants.
Kara, l’assistante ménagère/nounou, décide d’aider la petite Alice à fuir du domicile de son salaud de père violent.
Markus, quant à lui, est l’androïde de compagnie d’un vieux peintre riche, mais sera, par la force des choses, amené à quitter sa paisible existence pour endosser le rôle du leader de la révolution des androïdes, las de l’oppression continue exercée par les humains.

Ces 3 personnages, aux motivations et aux destins très différents, ne sont pas toujours traités avec la même justesse. Markus, par exemple, bénéficie de la trajectoire la plus convenue et la moins intéressante.
Il est à noter que pour une production Quantic Dream, le scénario n’est cette fois pas victime des faiblesses habituelles concernant l’écriture, les incohérences scénaristiques et les clichés balancés à tout va.
Pour une fois, le jeu a un vrai propos et des choses à nous raconter, et certaines scènes et répliques parviennent à faire mouche et à nous toucher (il fallait bien qu’on atteigne le fameux point « émotions »).
Bien sûr, tout n’est pas parfait, mais ici les personnages sont attachants et on n’a pas envie de les baffer systématiquement à cause de leurs choix complètement irrationnels, contrairement à Jodie dans Beyond ou Ethan dans Heavy Rain.
Le jeu sait par moments se confiner à des scènes intimistes et reste fort heureusement cadré à la seule ville de Detroit sur un court intervalle temporel pour éviter de trop se disperser : on pense à toi, Beyond Two Souls, qui partait souvent en vrille et voulait trop en faire pour en mettre plein les yeux, souvent en dépit du bon sens.
Il reste bien sûr de nombreuses faiblesses scénaristiques et des scènes dont on devine le dénouement à l’avance, tant les personnages sont des clichés sur pattes, mais dans l’ensemble, on constate une nette évolution qui va dans le bon sens.
Tous les acteurs délivrent des performances remarquables et la synchronisation labiale est excellente en VO. Le travail sur les animations est sensationnel et la mise en scène est, de manière générale, extrêmement réussie, ce qui n’était pas donné d’avance, connaissant l’historique du studio.

Ce qui marque le plus dans Detroit, c’est surtout son univers qui est tout bonnement dingue.
On veut sans cesse en connaître plus sur ce monde où les androïdes sont omniprésents. Le fait de placer ce jeu dans un cadre d’à peine 20 années dans le futur permet d’éviter de trop se perdre dans les clichés classiques de l’anticipation.
Le design des objets qui peuple le monde est particulièrement inspiré : que ce soit les voitures autonomes, les écrans, l’architecture, les boutiques, les vêtements, tout paraît crédible pour des choses censées exister en 2038.
Il est possible de lire de nombreux magazines disséminés dans les niveaux afin d’en apprendre davantage sur le background du jeu. On y apprend notamment la manière avec laquelle les androïdes se sont intégrés au quotidien des humains, que les abeilles pollinisatrices ont disparu, qu’un conflit gronde avec la Russie et pourrait mener à une guerre mondiale ou encore que le Canada a fait passer des lois interdisant l’exploitation des androïdes sur son territoire.

Malgré ces louanges sur l’histoire et le cadre du jeu, il demeure par moments de grosses faiblesses d’écriture et des analogies vraiment douteuses.
On n’échappera ainsi pas au sempiternel « les robots sont les esclaves du 21e siècle » dit de manière aussi peu subtile que cela, aux citations de Martin Luther King, et dès les premières heures du jeu, on découvre qu’un compartiment est réservé aux androïdes au sein des bus autonomes.
Voir un sujet aussi sérieux que la ségrégation raciale transposé avec d’aussi gros sabots aux machines relève davantage de la gêne et du malaise que de la connaissance approfondie de son sujet et de son contexte.
On n’échappera pas non plus à des clichés qu’on voit venir à des kilomètres, comme le personnage qui déteste profondément les robots, mais va se rendre compte qu’eux aussi peuvent faire preuve d’humanité et va progressivement changer d’avis.
Il faut dire qu’il est difficile d’être pertinent et original quand on traite du thème éculé des robots dans la fiction, alors que tout a déjà été dit ou fait et très souvent bien mieux qu’ici (on pense à toi, NieR: Automata, le GOTY de l’année 2017).

We, robots 

Detroit reprend à peu de choses près les bases des précédents jeux du studio, Heavy Rain et Beyond Two Souls en tête. On a ici affaire à un jeu d’aventure narratif avec une grande importance portée aux phases d’enquête et aux choix du joueur, lesquels ont des conséquences directes sur le déroulement et les embranchements de l’aventure, qui survit, et comment se termine l’histoire. En quelque sorte, les jeux de Quantic Dream ont toujours correspondu à une forme de transposition vidéoludique des « Livres dont vous êtes le héros », où chaque joueur vivra une expérience différente en fonction de ses choix.

Durant les phases d’action, l’essentiel des interactions consistera à réussir des QTE en appuyant sur les touches de la manette, en validant des directions avec le stick droit ou en effectuant des mouvements dans l’espace avec la manette. À certains moments, on vous demandera de choisir en temps limité quel chemin emprunter ou l’action à effectuer pour se sortir d’une situation un peu tendue : doit-on abandonner un de ses compagnons au risque que sa mémoire soit sondée ou l’abattre ? Est-il préférable de poursuivre un suspect qui prend la fuite ou sauver un de ses compagnons en danger ?
Le fait de rater des QTE ou de faire de « mauvais » choix ne signifie pas un échec pour autant et peut mener sur de nouveaux embranchements scénaristiques, chaque action ayant des conséquences plus ou moins immédiates.

Lors des phases de dialogues, il est possible de choisir ce que va dire notre héros, ce qui peut avoir des conséquences sur la manière dont votre interlocuteur vous perçoit à l’avenir. Cela se traduit visuellement par des flèches bleues ou rouges à côté du nom des personnages secondaires à l’issue de certains choix de dialogue. À titre d’exemple, votre progression avec le lieutenant de police Hank Anderson, coéquipier de Connor, ayant une haine viscérale des robots, changera du tout au tout selon qu’il vous déteste ou vous apprécie.
Par moments, un dialogue qui vous fera gagner des points auprès d’un personnage vous en fera perdre auprès d’un autre, il n’y a donc pas dans l’absolu de choix meilleurs que d’autres, chacun ayant ses avantages et ses faiblesses.
Les androïdes, réagissant à leur environnement beaucoup plus vite que les humains et leur cerveau reptilien, peuvent scanner leur environnement en une fraction de seconde.
Une simple pression sur la touche R2 permet de figer le temps et d’analyser les éléments du décor présents dans chaque pièce. On peut ainsi retrouver l’objectif à tout moment et voir s’afficher très distinctivement à l’écran les objets avec lesquels il est possible d’interagir.
Pour manipuler ces objets du décor, il faudra bien souvent réaliser des actions contextuelles en reproduisant des formes avec le stick droit de la manette.

Chez Markus

Durant les phases d’enquête et d’exploration, il faudra bien souvent récupérer des indices ou divers objets avant de pouvoir passer à la scène suivante.
La récolte de ces indices permettra de tomber sur les traces d’un suspect, de procéder à une reconstitution en 3D d’événements passés ou même d’augmenter vos chances de réussite durant une confrontation.
En outre, certains indices ou objets clés trouvés durant les phases de recherche et d’exploration permettent de débloquer des possibilités de dialogues supplémentaires, qui auront souvent une incidence sur la progression et les embranchements scénaristiques.
Comme c’est le cas pour les phases d’action, le fait de ne pas trouver le suspect durant certaines phases d’enquête en temps limité ne pénalise pas forcément le joueur dans l’immédiat et a pour conséquence de nous mener vers un autre embranchement de l’histoire.
Il existe souvent plusieurs manières de terminer un chapitre en fonction des éléments que l’on découvre ou non, et des lieux que l’on choisit d’explorer plutôt que d’autres.

Contrairement à la plupart des jeux TellTale qui souvent ne proposent qu’une illusion de choix, avec des différences purement cosmétiques et une progression quasi similaire pour tous les joueurs (la faute au concept de saisonnalité, obligeant les scénaristes à retomber sur un tronc commun à un moment donné), les jeux de Quantic sont bien plus radicaux dans leur approche et n’hésitent pas à tuer certains personnages principaux à des points clés de l’histoire.
Certaines scènes sont ainsi complètement bouleversées et vont varier du tout au tout selon les choix des joueurs.

À l’inverse d’autres grosses productions PS4 privilégiant les open worlds mirobolants, Detroit fait le choix de se limiter à des environnements ayant une taille plus modeste, mais de ce fait, le soin porté aux détails s’en retrouve grandi. La qualité des éclairages, des effets visuels comme la pluie, des textures ou encore de la modélisation forcent le respect. Detroit est une claque artistique et fait incontestablement partie des plus beaux jeux de la console, tenant la dragée haute aux Uncharted, Horizon et autres God of War (même si à certains moments, le framerate toussote un peu sur PS4 Standard).
Il est assez dommage que la myriade de murs invisibles vienne constamment nous rappeler à l’ordre lorsqu’on part un peu trop loin et qu’il ne soit pas possible d’explorer ces beaux environnements comme on le voudrait.

Detroit fait un pari assez audacieux pour un jeu du genre : il n’hésite pas à afficher très clairement l’arborescence de son histoire, et ce à chaque fin de chapitre. On peut ainsi voir le nombre de dénouements possibles par chapitre, les nœuds scénaristiques à chaque choix et le nombre d’issues possibles pour chacun d’entre eux, les passages bloqués car on n’a pas choisi le bon dialogue, les éléments optionnels réalisés au cours d’un chapitre, etc.
Le jeu (ou plutôt l’androïde nous accueillant au menu principal) nous recommande d’assumer nos choix et de ne pas revenir en arrière avant d’avoir fini le jeu une première fois, mais il est malgré tout possible de retourner à un moment précis si l’on souhaite corriger une erreur, par exemple.
Le jeu bénéficie ainsi d’une grande replay value si l’on souhaite voir tous les embranchements possibles et toutes les fins.

Detroit, c’est lui le meilleur

Detroit est assurément le jeu le plus intéressant de Quantic Dream depuis Omikron: The Nomad Soul, constituant l’aboutissement de la formule initiée depuis Fahrenheit. Il ressemble davantage à une évolution d’Heavy Rain que de Beyond: Two Souls et on ne va franchement pas s’en plaindre, tant ce dernier avait déçu à tous les niveaux.
Les jeux du studio faisaient régulièrement l’objet de moqueries, mais les développeurs ont sérieusement tenu compte des nombreuses critiques. Detroit est mieux réalisé, mieux écrit, plus varié, propose moins d’interactions factices et offre davantage de liberté au joueur. Il n’y a aucune séquence voyeuriste et les dialogues sont enfin crédibles, pouvant être prononcés par de vraies personnes dans la vraie vie.
C’est une claque technique et artistique indéniable, il s’assume d’avantage en tant que jeu narratif à embranchements (en nous proposant de revenir à tout moment sur nos choix via l’arborescence).
Il est dommage qu’il soit régulièrement gâché par quelques faiblesses narratives et des passages moins inspirés que d’autres, mais dans l’ensemble, c’est un jeu très solide et plaisant à suivre.

Le studio a réussi son pari en nous faisant oublier les errements des prédécesseurs et on a désormais hâte de voir quelle direction il va prendre pour son prochain jeu.
Pourquoi ne pas reprendre le projet de comédie « The Dark Sorcerer » qui avait fait son petit effet lors de son annonce à l’E3 2013 ?

Falcon

Points forts

  • Techniquement irréprochable, artistiquement fabuleux
  • L’univers très inspiré, scénario mieux écrit que d’habitude
  • Les environnements ultra touffus et détaillés
  • le travail sur les animations et la mise en scène
  • Le jeu des acteurs très convaincant
  • Arborescence disponible et visible dès le début
  • La bande originale

Points faibles

  • Toujours aussi sommaire niveau gameplay
  • Des grosses ficelles narratives et des analogies assez malheureuses
  • Les murs invisibles cadrant constamment la progression
  • Des placements de caméra malheureux et des lourdeurs dans le déplacement

Note : 16/20

Développeur : Quantic Dream
Éditeur : Sony Interactive Entertainment
Genre : Jeu d’aventure narratif
Date de sortie : 25 mai 2018
Support : PS4 / PS4 Pro

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