Test : Judgment (PS4)
Aux antipodes d’un Ace Attorney, Judgment nous propose d’imposer la loi à la manière des protagonistes de la série Yakuza. Le point d’entrée parfait pour tous les novices de l’univers des jeux exceptionnels de Ryu ga Gotoku Studio.
Après près de quinze ans d’aventures centrées sur la mafia japonaise avec Yakuza, le studio responsable a décidé de se concentrer en une structure portant le nom original japonais, Ryu ga Gotoku, comme pour annoncer la mise en chantier de softs variés, mais gardant toujours la marque qui a fait leur succès. Ne vous y trompez pas, Judgment peut avant tout être perçu comme un reboot de leur série phare plutôt qu’un nouveau titre à part entière. Tout ce qui a fait de Yakuza une saga marquante s’étalant sur de nombreux supports PlayStation et Smartphones est là et plus encore. SEGA y place tous ses espoirs pour enfin atteindre le grand public au lieu de rester ce succès uniquement critique qui s’éternise. Autant vous dire que l’élève a dépassé le maître, Shenmue III se prend une vilaine raclée avant même d’être sorti. Arrive ici un article conçu pour vous motiver à sortir votre porte-monnaie tout en vous en racontant le moins possible, un véritable exercice de style.
Prends ça !
Malgré le thème de la justice installé clairement dès les premières secondes de l’histoire, le jeu n’a rien à voir avec Ace Attorney, bien qu’il puisse s’en inspirer de très loin. Takayuki Yagami, petit génie n’ayant jamais perdu de procès de sa vie, se retrouve à défendre avec succès un criminel qui, une fois acquitté, décide d’aller tuer sa copine avant de mettre le feu à son appartement. Tel un Benjamin Hunter pris en flagrant délit de faiblesse, notre héros décide plus ou moins malgré lui de quitter son travail d’avocat pour devenir détective. On se doute alors, avec un titre comme Judgment, que Yagami finit par remettre indirectement les pieds dans cet univers en enquêtant sur un meurtre aux caractéristiques assez sanglantes.
Prenant initialement place dans le désormais mythique quartier de Kamurocho de la série Yakuza, le jeu se dévoile rapidement être avant tout un spin-off servant de suite indirecte aux pérégrinations de Kiryu. Les fans de la première heure ne peuvent que se réjouir d’avoir pu voir évoluer le lieu sur une trentaine d’années, désormais envahi de téléphones portables, drones et jeux en véritable 3D moderne. Quant aux autres, le héros, la majeure partie des personnages principaux et l’intrigue étant inédits, ils peuvent se jeter la tête la première dans ce film/beat’em all/RPG pour découvrir enfin comment un simple petit synopsis de jeu sur la mafia japonaise a pu donner naissance à un studio de développement travaillant à temps plein sur une saga.
Il ne faut pas s’y tromper, ce que produit les studios Ryu ga Gotoku est une suite d’histoires entremêlées formant un tout cohérent, mais surtout aussi complexe que n’importe quelle œuvre de fantaisie digne de ce nom. Chaque épisode, les canoniques PS2/PS3/PS4 ou les à-côtés PS3/PS4/PSP/Android/iOS, tisse le fil d’une toile toujours plus belle et captivante. On est nés dans les années 80 de cette ville ouverte pour y voir naître et mourir des immeubles et figures emblématiques fictives d’une mafia aux mœurs compliquées. Les joutes sanglantes pour le terrain vide de Yakuza 0, pourtant si importantes en son temps, sembleraient bien triviales pour ces habitants habitués à un déluge de technologie. Le temps passe, le monde change mais les problèmes s’enchaînent, et c’est un véritable honneur que de pouvoir garder un œil sur cette ville qui est la nôtre.
C’est ainsi qu’en 2019, les loisirs disponibles à Kamurocho sont modernes, mais surtout plus nombreux que jamais. Au-delà des classiques batting center et autres centres de bowling, nous pouvons aussi nous adonner à des courses de drones, des jeux d’arcade en réalité virtuelle (hélas, non compatibles avec le PSVR, j’avoue avoir eu beaucoup d’espoir à ce niveau), un chouïa de cabaret, mais surtout… une pléthore monstrueuse de jeux d’arcade de SEGA. On ne parle pas des trois softs habituels de Shenmue ou Yakuza ! Cette fois-ci, on nous sert du grand classique comme Puyo Puyo, de l’inédit avec Motor Raid et surtout les monuments introuvables dans leur version arcade japonaise, Fighting Vipers et Virtua Fighter 5 Final Showdown… Et ce ne sont que des exemples cachés ici et là, entre deux bornes d’un jeu inspiré de House of the Dead/Yakuza Dead Souls. On se perd très rapidement à ne rien faire pour la meilleure des raisons.
Objection !
Glander c’est bien, glander c’est malin, mais ce n’est surtout pas le but de Yagami (quoique…). Notre héros est là pour faire régner la loi qui, contrairement à celles des héros de la série Yakuza, n’est pas la sienne mais l’officielle, celle décidée par des mesdames-messieurs dans des bureaux. Ici se présente une dissonance que j’espérais ne pas rencontrer, mais semblant inévitable quand il s’agit d’atteindre le plus grand public possible : pour l’imposer, il le fera à coups de poings. On ne parle pas de petites baffes, mais plutôt de cabrioles psychédéliques que sa jeunesse de brigand et son sang chaud n’excusent en rien. Il est sûr que le résultat est au rendez-vous, sauf que ces sessions beat’em all, très satisfaisantes au demeurant, jurent avec cet homme essayant de rester incognito grâce à une panoplie digne de James Bond X McGyver. Déguisements, portes, climatisations en panne, rien ne résiste à cet homme à tout faire qui se retrouve malgré tout à prendre la populace pour son punching bag personnel.
Judgment est bavard. Désormais doublé en anglais en plus du japonais, sous-titré dans de nombreuses langues européennes dont la nôtre, le titre de RRG enchaîne des vidéos d’une longueur devant laquelle Metal Gear Solid 4 s’incline. Bien qu’elles soient généralement entrecoupées de ce que j’aime appeler des « pauses pipi », soit un moment où on nous redonne la manette officiellement pour une raison super importante, mais officieusement pour sauvegarder, le titre s’affirme ouvertement comme un soft reboot d’une longue série télévisée qu’on déguste comme telle. La quasi-totalité des dialogues étant parlés, on se retrouve forcément avec quelques petites techniques pour gagner du temps. Les personnages peuvent soudainement rester figés façon Petrificus Totalus, avec pour seule animation des lèvres robotiques. Loin d’entacher l’intrigue, bon nombre de ces discussions moins importantes peuvent de toute façon être passées rapidement en massacrant la touche X. Vous ne comprendrez juste rien à l’histoire, mais c’est votre problème.
Alors que les Yakuza proposent un enchaînement parfois répétitif de quêtes Fedex entrecoupées de combats et de vidéos, Judgment ajoute à la recette de nombreuses idées qui n’ont de logique qu’avec un détective. Scènes de filatures, certes, mais également courses poursuites, déverrouillage de portes via des mini-jeux, arbres de discussions ainsi que le graal des point’n click, une vision « détective » où l’on doit retrouver quelques pixels précis dans un environnement 3D. Rien de tout cela n’est compliqué au point de vous donner envie d’abandonner, ces séquences apportent au contraire une variété particulièrement bienvenue. Il est alors dommage qu’aucune de ces fonctionnalités ne soit particulièrement profonde : les choix de dialogues restent basiques et les objets à trouver particulièrement bien mis en avant. Nous n’avons pas droit à une personnalisation digne d’un Mass Effect mais plutôt, pour le coup, à un Ace Attorney lite.
Un instant !
Si on a bien quelque chose à reprocher à Judgment, c’est sa fluidité plus que douteuse sur une PS4 de base. Le jeu oscille entre les 20 et 30 fps constamment pour un résultat parfois raide et désagréable. Le jeu freeze à chaque démarrage de cutscene ou d’entrée dans un bâtiment trop grand, la faute à RRG qui a définitivement vu trop grand. Il s’agit du plus beau jeu de la console avec Red Dead Redemption 2, à l’exception que ce dernier propose de grandes étendues assez vides entremêlées de villes modérément peuplées au lieu d’une métropole se noyant dans un déluge de PNJ, d’objets destructibles et de décors extrêmement fouillés. C’est en fait un miracle que le tout tourne sur une machine de 2013. Les écrans de chargement sont quasiment absents, même quand il s’agit de rentrer dans un gigantesque centre commercial ou un immeuble. Une prouesse technique qui se vit avant tout sur PS4 Pro, bien que la plèbe de mon genre, incapable de passer au modèle supérieur, ne devrait pas voir là une raison de bouder son plaisir.
En proposant un doublage et sous-titrage multilingue, un cadre totalement inédit et de nombreuses nouvelles mécaniques de jeu, Judgment réussit complètement son pari d’internationaliser les talents du studio Ryu ga Gotoku. Enfin, diront certains ! Alors que la console rentre dans ses dernières années, les titres de qualité s’enchaînent avec SEGA au centre. Si vous n’avez jamais touché à un Yakuza et que vous attendiez l’occasion parfaite pour y mettre le pied, la voici. Ça ou Yakuza 0, bien qu’il ressemble à côté à une ébauche très divertissante mais quelque peu brouillonne du chef-d’œuvre qu’on nous offre aujourd’hui. À se procurer compulsivement !
Marynou
Points forts :
– Graphiquement magnifique
– Extrêmement complet
– Varié
– Système de combat toujours aussi plaisant
– Le héros est beau gosse
– Revisiter Kamurocho en 2019
– Très long
– Scénario captivant
Points faibles :
– Nombreux ralentissements sur une PS4 normale ou Slim
– Quêtes Fedex
– Dichotomie du détective sous couverture qui détruit tout sur son passage
LA NOTE : 18/20
LA NOTE : 18/20
Développeur / Éditeur : Ryu ga Gotoku Studio / SEGA
Genre : RPG, Aventure, Beat’em all, Action, Réflexion, Série Netflix
Support : PlayStation 4
Date de sortie : 20 juin 2019 (édition téléchargement), 25 juin 2019 (édition physique)