Enquête : PEGI et les joueurs
Depuis que les jeux vidéo ont commencé à se démocratiser, nos dirigeants et autres personnes bien pensantes n’ont eu de cesse de les pointer du doigt, en raison du danger qu’ils représentent pour les enfants : violence, énervement, images inappropriées, insultes, vulgarité et même scènes à caractère sexuel peuvent traumatiser les plus jeunes. Ces personnes ont donc imaginé un tas de systèmes pour informer les consommateurs sur le contenu réel des jeux vidéo. Mais, le « fléau » se propageant partout dans une Europe aux cultures très différentes d’un pays à l’autre, il était difficile d’harmoniser les différentes classification. Afin de créer un système européen unique adapté à toute l’Europe, le système PEGI a été créé. Mais qu’est-ce exactement et qu’en pensent les joueurs ? Venez le découvrir tout de suite.
PEGI c’est quoi ?
PEGI est l’acronyme de Pan-European Game Information et dispose d’un site officiel très complet. Ce système est propre à l’Europe. Avec son équivalent pour l’Amérique du Nord, l’ESRB (Entertainment Software Rating Board), il fait partie de IARC (International Age Rating Coalition).
C’est un système de classification des jeux vidéo (consoles, PC et même applications du Google Play Store depuis 2015) pour informer les parents ou toute personne devant s’occuper d’enfant sur le contenu des jeux afin de vérifier si ces derniers sont adaptés à l’âge des enfants. Des pictogrammes les plus clairs possibles sont présents sur les jaquettes pour signaler la présence de violence, de langage grossier, etc., comme vous pouvez le voir sur la photo ci-dessous :
PEGI est donc un système d’information et de classification par âge unique et identique dans la plupart des pays d’Europe. Apparu pour la première fois en avril 2003, il ne tient compte ni de la qualité du jeu ni de sa difficulté et commence à se répandre dans les zones PAL en dehors des frontières européennes, comme l’Israël, le Canada, l’Australie ou les Émirats Arabes Unis. Il n’est pas obligatoire, mais presque tous les jeux sont classés, peut-être par souci de transparence pour les éditeurs. Certains pays d’Europe ont même des lois qui obligent à respecter cette classification, mais pas tous : ainsi, rien n’oblige un revendeur à respecter cette norme si la loi de son pays ne lui impose pas. Pourtant, le site officiel encourage les consommateurs à dénoncer les revendeurs qui ne la respectent pas. On sent déjà que ce système qui part d’une bonne idée, la protection de l’enfance, peut vite déraper !
Selon ce système, un jeu PEGI 7 est donc adapté à un enfant de 7 ans. Bon là, on voit déjà les limites du système : par exemple, New Super Mario Bros Wii est classé PEGI 3, ce qui en théorie signifie qu’il est adapté aux enfants de 3 ans, implicitement on comprend que les joueurs plus âgés devraient bouder ce jeu qui ne leur convient pas, car ils sont trop grands, ce qui est ridicule.
La classification donne aussi des résultats surprenants : le jeu Super Smash Bros. est considéré comme violent, Rayman contre les Lapins Crétins contient des scènes effrayantes (cherchez bien lesquelles, honnêtement je ne vois pas !), les Skylanders sont des jeux violents ET qui font peur, alors que Resident Evil Wii est juste violent, mais ne fait pas peur… selon cette classification, bien sûr. Incompréhensible !
Des résultats pas toujours cohérents, peut-être en raison du panel de personnes choisies pour évaluer les jeux : parents ou groupes religieux ont ainsi leur mot à dire et peuvent influer de manière un peu extrême sur les évaluations. Le problème de la censure, très important dans les années 1990, est donc toujours d’actualité, même si on le voit moins qu’avant.
PEGI et les joueurs
Si ce système est censé protéger les joueurs, qu’en pensent ces derniers ? J’ai fait de mon mieux pendant deux semaines pour inciter un maximum de joueurs de tous âges, sexes et catégories sociales à répondre à un sondage sur PEGI. À la question « Le système d’évaluation PEGI est… ? » les joueurs ont répondu :
- 12 % Très bien et je respecte ses recommandations
- 6 % PEGI, c’est quoi ?
- 27 % Je connais PEGI mais je n’y fais prête pas attention
- 30 % PEGI, c’est totalement bidon et je m’en moque royalement
- 24 % C’est surtout pour rassurer les parents qui n’y connaissent rien aux jeux vidéo
Il apparait donc que l’âge indiqué n’est pas un critère fiable pour les joueurs de plus de 15 ans, car ils apprécient aussi bien les jeux 3+ que les jeux 18+. Seuls les jeunes joueurs ou les parents pensent qu’un jeu 3+ est moins bien qu’un jeu 18+, car il ne va pas inciter leur enfant à grandir. Ainsi, ce système a un effet pervers qui va à l’encontre de ce pour quoi il a été créé : au lieu d’inciter les plus jeunes à jouer à des jeux adaptés à leur âge, il fait l’inverse et avec la bénédiction de leurs parents ou responsables !
L’un des exemples récents les plus marquants et South Park Le Bâton de la Vérité qui, par décision de son éditeur, a été amputé de tous ses mini-jeux les plus croustillants et des scènes rigolotes qui les accompagnent, certainement par crainte d’écoper d’une mauvaise classification. Il faudrait donc que les joueurs se réveillent et fassent entendre un peu plus leur voix pour limiter les abus : entre les sanctions sévères et la crainte de se faire taper sur les doigts, les éditeurs préfèrent prendre le moins de risques possibles, quitte à sortir moins de jeux chez nous ou à supprimer le contenu qui pourrait « choquer ».
PEGI vous répond !
Puisqu’on peut envoyer des messages à PEGI, sautons sur l’occasion et voyons donc ce que cela donne. J’ai ainsi envoyé ce petit message :
Bonjour, je trouve que votre système n’est pas adapté et incite les plus jeunes joueurs à ne consommer que les jeux pour « adultes ». En effet, je voit beaucoup d’enfants de 6-10 ans refuser de jouer à un jeu de leur âge, car il y a le logo PEGI 3+ apposé dessus. Pour eux, c’est un jeu pour bébés de 3 ans. Ils sont alors attirés par les jeux ayant les logos 16+ et 18+. Les parents réagissent souvent de la même façon, pensant qu’un jeu classé 18+ va apprendre à leur jeune enfant à grandir alors qu’un jeu classé 3+ va l’infantiliser. Les revendeurs ne respectent pas non plus les recommandations. Comment comptez-vous remédier à ce problème ? Cordialement.
Et obtenu rapidement une réponse, formelle et en anglais dont voici la traduction :
« Le système PEGI a été pensé pour informer les parents et les tuteurs/responsables sur les éléments parfois inappropriés qu’on trouve dans les jeux pour les enfants sous l’âge recommandé. À l’aide de la classification par âge et des pictogrammes qu’on trouve sur les jaquettes, PEGI souhaite aider les parents à faire un achat responsable.
PEGI agit comme un système indépendant basé sur le volontariat. Nous ne sommes affiliés à aucun gouvernement et à aucune loi. Toutes les règles de chaque pays sont localement respectées. Certains pays adoptent PEGI, mais ce n’est pas quelque chose que nous nous activons à faire. Ce n’est pas notre but de faire des lois ou de les changer. En revanche, nous aidons les gouvernements qui veulent implémenter PEGI. Aux Pays-Bas, par exemple, on ne peut pas acheter un jeu si on n’a pas l’âge minimum requis, sauf pour les 16-17 ans qui peuvent acheter un jeu PEGI 18. De même, aucun jeu classé PEGI 16 ou 18 ne peut être montré en public (magasin, cyber café, etc.). Ces règles sont scrupuleusement respectées.
Le Royaume-Uni a adopté PEGI dans sa législation en juillet 2012. Les ventes de jeux en magasin (ventes physiques) sans classification PEGI sont interdites. Il est également illégal de vendre un jeu à un jeune enfant si le logiciel ne correspond pas à sa tranche d’âge (cela concerne uniquement les PEGI 12, 16 et 18 – ces règles sont également renforcées).
Dans certains pays, les revendeurs ont fait annuler des règles les empêchant de vendre un jeu sans classification PEGI. Ainsi, puisque les règles sont annulées ou modifiées au cours du temps et des gouvernements, nous ne connaissons pas toutes les lois et règles possibles dans les 30 pays où PEGI s’applique.
L’une des règles fondamentales de PEGI est qu’il ne censure ou n’interdit jamais : PEGI évalue toujours le contenu entier du jeu soumis. La plus grande évaluation est PEGI 18, et nous pensons que c’est suffisant pour avertir le public. Ce que les gens font du jeu ne concerne qu’eux (les consommateurs). La situation française doit être examinée localement. Nous n’avons aucune influence dessus. »
J’apprécie la rapidité de la réponse, dommage cependant que cette dernière soit assez « politiquement correcte » et ne réponde pas exactement à la question, ce qui ne va pas inciter les gens à les contacter. Ce n’est pas grave, on va tenter de contacter d’autres personnes et associations, mais françaises cette fois.
Bon, de ce côté, c’est comme d’habitude, le calme plat, mes différents emails ne recevant aucune réponse, car c’est une spécialité française d’ignorer tous ceux qui ne permettront pas à coup sûr de faire le buzz, alors qu’à l’étranger, les personnes même célèbres sont bien plus amicales et heureuses de répondre à n’importe quelle question.
J’ai néanmoins obtenu l’avis d’un bénévole de la tristement célèbre association Familles de France qui a très mauvaise réputation auprès du grand public à cause de sa censure aveugle frisant l’extrémisme, mais qui a toujours souhaité jouer un rôle important dans la classification des jeux vidéo, comme elle le rappelait en 2006 (voir ici).
Pour rappel, la question était :
Le système d’évaluation PEGI : il est difficile d’informer correctement le grand public sur le contenu exact des jeux. En pratique, on remarque surtout que les parents et les enfants comprennent mal ce système et pensent qu’il vaut mieux jouer à un jeu classé 16+ ou 18+ pour valoriser le jeune joueur. Je ne parle même pas des revendeurs sans scrupules qui expliquent aux parents que les jeux 18+ sont parfaits pour leurs enfants de 8 ans, car tous leurs copains vont vouloir y jouer, alors ils deviendront vite populaire ! Je sais que Familles de France tente d’avertir les consommateurs, mais des améliorations/d’autres propositions sont-elles envisageables ?
Voici donc la réponse de FdF :
« Le système PEGI n’est certainement pas un système parfait, puisque dans les faits il ne permet pas aux jeunes joueurs d’éviter le contact avec des jeux inadaptés. Il a au moins le mérite d’exister, d’être cohérent par rapport aux éléments le plus communément partagés en éducation. Il pointe en particulier les excès de sexe et violence.
Vis-à-vis du public, le problème est assez complexe. En effet, les médias – à travers des joueurs adultes la plupart du temps – mettent en avant des jeux qui ne sont pas réalisés pour le jeune public. Un grand nombre de sorties de jeux conseillés aux joueurs de plus de 16 ans ou de 18 ans sont annoncés dans la presse avec beaucoup de retentissement, même si parfois le jeu déçoit un grand nombre de joueurs, comme par exemple, le dernier volet d’Assassin’s Creed… Cette ambiance médiatique donne le sentiment au jeune joueur que ces jeux 16+ et 18+ sont les meilleurs, les plus fins, les mieux conçus…
Par ailleurs, élément complémentaire pour modérer le point de vue précédent, deux des jeux les plus vendus en France sont des jeux qui ne sont ni violents ni tournés vers le sexe : Just dance et Fifa…
On en revient donc à la question de départ, que faut-il faire ? Familles de France estime qu’il faut continuer à tenter d’informer les familles, leur faire comprendre que cette classification PEGI est pertinente, mettre en avant un jeu 7+ ou 12+ quand on en trouve qui sont bien réalisés et il y en a beaucoup. Convaincre les parents, les papas-joueurs en particulier, qu’il vaut mieux s’abstenir de jouer devant ses enfants à des jeux 18+…
D’un point de vue strictement pédagogique, on sait que l’interdit ne règle rien, que pointer du doigt en hurlant un jeu hyper violent lui offre une publicité supplémentaire et que dans notre pays, au nom de la créativité, il est toujours difficile, voire impossible et contreproductif, de vouloir interdire un jeu.
D’autres méthodes seraient-elles meilleures ? Je ne suis pas convaincu, car je pense que les médias, l’influence parentale et les discussions entre jeunes joueurs ont plus d’importance que les classifications. C’est pour cela que je fais régulièrement, quand on me le demande, des interventions dans les classes de primaire pour parler avec les jeunes des jeux, de leurs thèmes, de leur réalisation, de la classification…
Éduquer et prévenir par l’information et le dialogue, il n’y a que ça d’efficace ! »
PEGI : inutile mais incontournable
Ainsi, il apparaît que ce système d’évaluation est totalement inadapté et inutile, tant il varie d’un pays à l’autre. Il ne permet même pas de connaître précisément le contenu d’un jeu, mais simplement un avis largement subjectif formulé par des personnes qui, souvent, ne connaissent rien aux jeux vidéo et veulent simplement imposer leur idéologie aux autres.
PEGI essaie de satisfaire un maximum de personnes de milieux sociaux, culturels, religieux, voire politiques, totalement différents, d’où l’impossibilité d’arriver à un système cohérent. On essaie de nous faire croire que le consommateur peut influencer ce classement, mais sans vraiment l’inciter à le faire et sans vraiment l’écouter non plus. PEGI est tellement insignifiant pour les joueurs que certains parlent régulièrement « d’anti PEGI », une tentative de fédérer les joueurs pour contrer ce système, mais sans succès. Néanmoins, à travers le monde, les joueurs se mobilisent contre PEGI, avec plus ou moins d’humour, comme les produits dérivés « keep calm », détournés contre cet organisme. Allez donc faire un tour sur le site officiel de ce groupe un peu vindicatif, pour commander tous vos produits « keep calm and fuck PEGI« , si vous ne me croyez pas !
Avec le pour, mais surtout le contre, pourquoi ce système est-il toujours en application ? La logique voudrait qu’on l’abandonne, tant il est inutile et inefficace. Pourtant, on continue à voir ses logos sur toutes les jaquettes et des parents suivre les recommandations sans réfléchir, comme si PEGI leur donnait une réponse universelle et pertinente. On peut y trouver une indication d’âge (mais juste une indication) et parfois, certains parents devraient pourtant y faire un peu plus attention pour leurs enfants vraiment jeunes, mais on se rend malgré tout compte que le système PEGI est un peu dépassé et pas vraiment à la hauteur. Il serait peut-être temps de revoir les choses, surtout avec le succès actuel des jeux vidéo.
Cela pose d’ailleurs le problème du sens critique, que les nouveaux programmes scolaires applicables dès la rentrée scolaire 2017 vont tenter d’inclure, en faisant réfléchir les élèves sur ce qu’ils voient et lisent sur internet. Mais ça, ce serait plutôt un nouveau sujet…