Test : Mother Russia Bleeds (PC)
Si pour vous « Russie » rime avec Dostoievski, Kandinsky ou Pouchkine, il se peut que Mother Russia Bleeds ne parle pas beaucoup à votre âme versée dans les arts raffinés. Par contre, si vous êtes plutôt « vodka, mafia et dash-cam cracra », cet beat’em all français a peut-être de quoi vous convaincre, si tant est que la formule qu’il propose, un brin basique, puisse vous satisfaire.
Patate de forain
Je vais être honnête deux secondes : le beat’em all, ça m’emmerde un peu. Je trouve le genre trop bourrin, trop répétitif pour son propre bien, mais surtout : trop répétititititif. On avance vers la droite, on s’arrête, on bastonne des grappes d’ennemis identiques (ou color-swappés), on reprend sa route pour répéter l’opération un peu plus loin et finalement, battre un boss qui vient briser cette monotonie avec un petit twist de gameplay. Streets of Rage, Castle Crashers ou encore Fighting Force (souvenez-vous, ce jeu 3D d’Eidos/Core Design à l’époque de la première PlayStation), tous ont proposé peu ou prou la même recette, avec plus (Castle Crashers) ou moins (Fighting Force) de brio ou d’idées originales.
Sauf que le beat’em all est aujourd’hui un genre un peu mort, au moins dans sa forme originelle. Contraint de se moderniser, il a évolué vers une formule plus complexe et diversifiée, qui tend désormais vers l’action-RPG, libéré de ce carcan originel bien trop limitatif : l’increvable série des Dynasty Warriors, la majorité du catalogue Platinum Games, voire Bloodborne en sont des représentants de qualité ; le titre de From Software culmine d’ailleurs en profondeur et sophistication de ses mécaniques de jeu, transcendant véritablement le genre. C’est alors qu’intervient Mother Russia Bleeds, qui revient à une formule plus « classique », presque dépouillée de tout oripeau moderne. Du beat’em all à l’ancienne, avec un bouton de saut, un pour le coup de poing, un pour le coup de pied, un pour dasher/esquiver et un dernier pour la chope. ET. C’EST. TOUT. Le système de combo n’est pas hyper développé : il suffit d’enchaîner des coups, n’importe lesquels, sans discontinuer, pour faire grimper une jauge de combo. Pas de combinaisons avec les touches de poing, pied non plus : on peut simplement combiner le dash avec un coup ou choisir d’envoyer valdinguer un ennemi que l’on a chopé ou de le finir au corps-à-corps sans qu’il puisse se défendre.
À l’Est, rien de nouveau
Bon, on note tout de même une mécanique supplémentaire en lien avec le background du jeu : dans cette Russie fictive et dystopique de 1986, une drogue appelée Nekro fait des ravages parmi la population. Sergei et ses potes sont des combattants clandestins qui ne demandent rien d’autre que de taper sur des clodos pour se faire quelques roubles, mais un beau jour de février, une milice armée débaroule en pleine baston et kidnappe nos infortunés freefighters. S’ensuit une période d’expérimentations où des scientifiques leur injectent des doses régulières, afin de les rendre accros à la Nekro (1). En jeu, dans cette Russie de junkies ultra agressifs, cela se traduit par certains cadavres ennemis qui se convulsent et sur lesquels il est possible de prélever de la Nekro pour recharger sa seringue perso : nos avatars peuvent ainsi regagner un peu de vie en se l’injectant, voire passer en mode berserk suite à plusieurs injections successives pour gagner en puissance et rapidité. D’autres drogues se débloqueront avec des effets différents, mais j’y reviens un peu plus bas.
Quelle que que soit la manière dont on tourne les choses, le constat reste le même : malgré quelques ajouts et un système de checkpoints somme toute moderne, Mother Russia Bleeds est un jeu à l’ancienne, qui reprend la formule du beat’em all oldschool de A à Z, jusque dans ses défauts les plus agaçants. Ainsi, la difficulté ne vient pas d’une complexification des attaques ennemies (bien que l’on note une vraie variété dans les situations proposées au cours des 8 niveaux), mais de leur nombre, de leur barre de vie ou de leur équipement (les mecs à fusils à pompe, cette plaie), généralement de ces trois critères à la fois. Je pensais que les sacs à PV étaient une relique du passé (ou que l’on ne les trouve que dans certains mauvais RPG), mais Le Cartel utilise cette facilité de gameplay à outrance, simplement dans le but de freiner la progression du joueur – comme dans une borne d’arcade, sans que l’impératif pécuniaire (remettre toujours plus de pièces dans la machine) ne justifie ce choix de design. Autre défaut intrinsèque au genre : l’impossibilité de toucher un ennemi si l’on ne se trouve pas exactement sur la même ligne que celui-ci – très agaçant quand les cadavres jonchent le sol et brouillent la lisibilité de notre position dans l’espace.
Mange tes morts
Contrairement à ce que les deux paragraphes précédents peuvent laisser penser, Mother Russia Bleeds n’est pas un ratage complet, loin s’en faut. Il propose 8 niveaux complètement différents et aux objectifs variés : s’échapper d’un labo, empêcher qu’un ennemi ne prévienne des renforts dans un train, protéger un PNJ pendant la traversée d’un night-club glauquissime… Les situations ne se répètent jamais et chaque niveau est découpé en tableaux que l’on peut recommencer à l’envi en cas de trépas. On a la possibilité d’incarner 4 personnages aux caractéristiques complémentaires (le « Mario », bon partout/excellent nulle part ; le gros bourrin très lent ; la fille rapide mais faiblarde ; le « Wario », miroir inversé des points forts et faibles du « Mario), que ce soit avec des IA plutôt débrouillardes ou avec trois potes en local.
Visuellement, Le Cartel nous sort le pixel-art des grands soirs, soigné, dynamique, bien qu’un peu surchargé. Côté son, je trouve le sound-design et la musique bien moins percutants que dans Hotline Miami (influence stylistique évidente et revendiquée) : les impacts manquent de punch (un comble pour un BTA) et les excellents morceaux composés par Vincent « Slo » Cassar ne sont pas assez mis en avant. Sans lien aucun, les combats de boss sont de vrais bons moments : chacun possède donc son petit twist qui vient pimenter l’affrontement et varier les plaisirs (le directeur de prison et son sniper ; une baston sur des rails avec des trains qui passent ; un combat en scrolling où il faut éviter de se faire charcuter par une moissonneuse…), assurant une respiration avec les phases linéaires qui les précèdent.
En plus du mode Histoire, un mode Arène est disponible, chaque arène se débloquant avec notre avancée du scénario : il faut ainsi boucler un niveau pour avoir accès à son arène dans le mode idoine. L’intérêt d’un tel mode m’échappe encore (facteur répétitivité multiplié par cent en comparaison du mode scénarisé) et les développeurs ont cru bon conditionner le déverrouillage de nouvelles drogues à notre performance dans ce mode. Il faut donc éradiquer 10 vagues d’ennemis pour débloquer un nouvel agent addictogène dont la propriété viendra modifier le gameplay. Sur le papier, rien à redire, mais dans les faits, vaincre les 10 vagues de la première arène relève de l’exploit, tant la difficulté est élevée (pour les raisons évoquées plus haut) et que cela prend un temps fou : comptez une quarantaine de minutes avec 4 joueurs simultanément ! Pas de checkpoint dans ce mode – évidemment – et une fois mort, il faudra reprendre à la vague n°1.
Il est probable que la recette du beat’em all ne me convienne pas, du moins dans sa forme la plus épurée, il y a sûrement de ça dans mon ressenti global du jeu. Pour autant, j’aurai préféré que les développeurs trouvent des palliatifs aux défauts les plus évidents et récurrents du genre, plutôt que de proposer des graphismes hyper chiadés, cache-misère d’un gameplay manquant intrinsèquement de profondeur. Là où Devolver nous avait habitué à des titres atypiques, à des mécaniques originales ou à des univers tranchés, Mother Russia Bleeds reprend le design de Hotline Miami, mais le colle sur un gameplay sans véritable saveur – abîmant, de fait, son décor soviético-cracra pourtant séduisant et ses combats de boss franchement inspirés. On passera également en dire sur le scénario, trop envahissant et bien trop mal dialogué pour que l’on s’y intéresse vraiment. L’amateur de beat’em all nostalgique, en manque de titres d’une époque révolue, devrait y trouver son compte le temps d’un après-midi (rajoutez deux à quatre points à la note si vous appartenez à cette catégorie) ; les autres risquent de s’ennuyer ferme, voire de rage-quit sur un passage absurdement difficile… Une vraie déception.
(1) La toute puissance de cette assonance vous est offerte par Vladimir Poutine himself.
Go-Ichi
Points forts :
- Son pixel-art chiadé, les animations fluides.
- La bande-son de Vincent Cassar, bien que mal utilisée.
- La variété des décors et des situations (les combats de boss surtout).
Points faibles :
- Un beat’em all bien trop classique.
- Le mode Arène qui s’apparente à du grind sans intérêt.
- Des défauts antédiluviens toujours pas réglés.
La Note : 12/20
La Note : 12/20
Éditeur : Devolver Digital
Développeur : Le Cartel
Genre : Beat’em all très très oldschool
Supports : PC (Windows, Mac, SteamOS)
Date de sortie : 05 septembre 2016