Interview : Valerian Moquay, fondateur de Guaranapps
Pour son premier jeu, Get Teddy, Guaranapps a déjà de quoi nous montrer toute la richesse et la difficulté du milieu vidéoludique chez les indépendants. Conception à 2, à distance, réactivité pour redynamiser le jeu… Son fondateur Valerian Moquay nous explique tout cela, sans omettre ses projets personnels dans le jeu vidéo axés sur des problématiques sociales.
Inod : Salut Valerian. Peux-tu nous évoquer ton parcours, ainsi que tes fonctions chez Guaranapps, pour démarrer ?
Valerian Moquay : Salut Inod. J’ai découvert la programmation en autodidacte au collège, c’est donc naturellement qu’après le bac j’ai suivi des études d’informatique en faisant un IUT puis école d’ingénieur à Bordeaux.
Après mes études, je suis parti travailler deux ans à Dakar au sein de la filiale Sénégalaise du groupe Canal+. Je suis ensuite resté huit ans au siège social, en Île-de-France, jusqu’à l’arrivée de M. Bolloré, qui a provoqué le départ de pas mal d’anciens collègues.
C’est à ce moment là que j’ai décidé de fonder mon entreprise Guaranapps pour être indépendant et tenter de réaliser le rêve d’enfant auquel j’avais renoncé, à savoir, faire des jeux vidéo. J’avais longtemps essayé de développer des applications et jeux mobiles sur mon temps libre, mais j’ai fini par me rendre compte que pour réaliser un projet sérieux, une implication à plein temps était nécessaire.
Concernant mes fonctions chez Guaranapps, je suis le fondateur de l’entreprise et j’effectue des tâches très variées comme la programmation, la composition musicale, le sound design, le level design ou encore le marketing. Cependant, le premier jeu, Get Teddy, a été co-créé et conçu en partenariat avec un ami graphiste, Adrien Chartie, qui est basé à Montréal. Il a des années d’expérience dans le cinéma d’animation, il a notamment travaillé sur des grosses productions comme « Moi, moche et méchant » ainsi que sur le dernier DreamWorks « Captain Underpant ».
Inod : Et désormais, présenter Guaranapps. Sa création, ses objectifs… ?
Valerian Moquay : L’idée de fonder mon entreprise me trottait dans la tête depuis quelques temps. J’avais envie de consacrer mon énergie à faire un travail plus créatif et plus personnel que de la gestion de projet dans un grand groupe. Cela faisait aussi un moment que l’on essayait de développer un jeu sur notre temps libre avec Adrien. Je pense que c’est la combinaison de plusieurs facteurs qui a été le déclencheur : changement d’organisation brutale à Canal+, période de disponibilité d’Adrien et l’envie de changement.
Au début, Guaranapps s’appelait Free Spirit Softwares, mais suite à une mise en demeure du F.A.I Free (pour l’utilisation du mot Free dans le nom de mon entreprise), j’ai dû changer de dénomination sociale, ce qui a retardé la sortie de notre premier jeu Get Teddy.
L’objectif de Guaranapps est de réussir à être rentable d’ici le début d’année prochaine. Si ce n’est pas le cas, j’ai prévu de réaliser des prestations de services informatiques auprès d’autres entreprises afin de mettre suffisamment d’argent de côté pour pouvoir à nouveau financer le développement de mes projets personnels.
Je compte principalement réaliser des jeux mobiles et PC et j’envisage aussi la création de contenus YouTube sur la création de jeux. De plus, je ne souhaite pas me limiter aux jeux vidéo et j’aimerais également développer des applications web, mobiles ou PC en privilégiant l’usage des technologies de réalité virtuelle et augmentée.
Inod : Penchons nous sur votre premier jeu, Get Teddy. Qu’en est-il de sa genèse, son système de jeu… ?
Valerian Moquay : Nous sommes partis d’une règle de déplacements consistant à se rendre sur une case par rebonds successifs, en essayant de faire un minimum de mouvements. On a ensuite imaginé des éléments d’interactions : case de changement de direction, téléporteur, case mortelle, champs magnétique, etc.
Le plus difficile n’est pas d’avoir des idées, mais de les tester et de les sélectionner, ce qui implique de renoncer à certaines. Par exemple, on a mis un peu de temps à converger vers notre mécanique actuelle de score, à savoir arriver à collecter les trois étoiles. Initialement, on avait envisagé de combiner plusieurs règles pour gagner des étoiles, notamment finir le niveau en moins d’un certain temps ou encore finir en un nombre fixé de déplacements. Mais cela complexifiait la prise en main du jeu et le level design. On a donc fait le choix de simplifier les règles au maximum.
Au début, on pensait pouvoir développer le jeu en six mois, mais finalement on a passé plus d’un an, et on continue encore à peaufiner le jeu. Nous avons intégré assez tôt des joueurs dans le processus de développement afin de corriger nos défauts. Grâce aux premiers retours, nous avons ajouté des indications de progression et amélioré la phase de début de jeu avec les didacticiels de prise en main. Cette phase de test, avec des joueurs découvrant le jeu, est essentielle, car il est difficile de prendre du recul sur un projet dans lequel vous êtes impliqué quotidiennement. Le système de jeu a donc été construit par itérations successives avec la volonté de répondre aux attentes des nos joueurs.
Inod : Comment est venue l’idée de l’univers, avec ce bébé cherchant son ours ?
Valerian Moquay : Dans les premières phases de conception nous avons envisagé plusieurs axes narratifs permettant de construire un univers cohérent. Nous avions notamment envisagé des personnages multiples avec de petits monstres ou encore un cuisinier devant ramasser des ingrédients.
Cependant, le fait de développer pour mobile implique d’avoir un personnage dont le design reste compréhensible sur un petit écran, ce qui est loin d’être évident. Cette contrainte nous a orientés vers un personnage ayant une grande tête et c’est ainsi que nous avons choisi d’utiliser un bébé comme protagoniste principal, avec une grosse tête ronde et le petit corps. Le reste de l’univers en a découlé naturellement avec l’ours, faisant office de doudou, comme objectif. Dans la construction de nos personnages, nous avons également voulu créer un côté humoristique et décalé. Ainsi, le bébé, que nous avons appelé Kurt, prend des expressions faciales que l’on n’attend pas d’un enfant. Et l’ours a une personnalité arrogante et se croit intouchable, il fait donc la tête lorsqu’il se fait attraper.
Sur le moment, nous ne nous sommes pas rendus compte que ce choix de personnages allait nous porter préjudice. En effet, ayant construit un univers autour d’un bébé, le côté mignon du jeu a tendance à nous faire passer pour un jeu pour enfants en bas âge. Or, c’est un jeu de réflexion relativement difficile, ainsi les joueurs les plus jeunes vont rapidement se trouver bloqués, alors que les joueurs cherchant le challenge risquent de passer à côté du jeu à cause de l’univers qui peut faire penser à un jeu éducatif. Nous avons ainsi essayé d’estomper ce côté enfantin, comme en témoigne l’évolution de notre bannière. Nous développons actuellement une mise à jour avec laquelle nous espérons corriger notre image et ainsi devenir crédibles auprès des adeptes de jeux de réflexion.
Inod : De quelle façon s’est déroulé son développement, sachant que tu es à Paris et que ton collègue est à Montréal ? Avec, on l’imagine, les contraintes que cela entraine.
Valerian Moquay : Effectivement le jeu a été développé de part et d’autre de l’Atlantique. Le fait de travailler à distance, tout en étant seul chez soi, n’est pas toujours évident, mais on a réussi à s’organiser pour y arriver.
On a tout d’abord mis en place un wiki pour y centraliser nos idées et nos tâches à réaliser. On échange aussi régulièrement. On s’appelle au moins deux fois par semaine, via Internet, pour faire un point d’avancement et trancher les sujets en cours. On utilise aussi beaucoup les outils de messagerie instantanée pour s’échanger les visuels et les fichiers du projet. Ayant un décalage horaire de six heures, nous essayons de fixer à l’avance les tâches de chacun afin d’éviter de devoir s’attendre mutuellement. Heureusement, nos domaines de compétence sont assez indépendants, puisqu’Adrien s’occupe du graphisme et moi de la programmation.
Tout le développement du jeu a été fait avec le moteur de jeu open-source Godot Engine, qui permettait à Adrien d’intégrer ses ressources graphiques et faire ses animations directement dans l’éditeur et de façon autonome. Il m’envoyait ensuite ses fichiers que j’intégrais en ajoutant le code nécessaire. Et en attendant ses scènes, je pouvais toujours m’occuper avec du level design, sound design ou tâche technique.
Le développement s’est donc déroulé de façon fluide. Il faut dire aussi que l’on se connaît très bien avec Adrien, puisque nous sommes des amis d’enfance et nous partageons un grand nombre de valeurs communes. Ainsi, les phases nécessitant le plus de synchronisation, comme la création et la sélection des idées, se sont donc déroulées sans encombres, puisque nous avions une vision assez similaire sur ce à quoi devait ressembler le jeu.
On a également pu se voir physiquement à plusieurs reprises durant le projet, notamment l’été dernier où l’on a acté pas mal d’améliorations durant un road trip en Gaspésie au Canada.
Inod : Vous préparez actuellement une importante mise à jour. Quelles en sont les raisons, qu’apportera-t-elle et quelle est sa date de sortie ?
Valerian Moquay : En effet, nous préparons une mise à jour importante pour le début du mois de mars. La raison principale de cette mise à jour est la volonté de casser le côté « jeu pour enfant » afin de ré-axer notre image sur le jeu de réflexion. Nous allons ainsi revoir l’icône du jeu et renommer Get Teddy en Slyway (Sly signifiant malin/sournois, mais cela va également être le prénom de l’ours). Nous avons également retravaillé la narration et réalisé une petite cinématique d’introduction pour l’expliquer :
Le joueur va donc découvrir un Kurt adolescent qui a délaissé son ours Sly pour s’adonner à sa passion, à savoir, jouer de la guitare. Mais Sly, nostalgique de l’époque où Kurt était encore un bébé, va lui jeter un sort pour le retransformer en bébé et jouer à nouveau avec lui. Ainsi, on n’incarne plus un bébé qui attrape son nounours, mais un ado qui, suite à un mauvais sort, est contraint de résoudre des énigmes élaborées par un ours jaloux.
Nous avons également ajouté de nombreux skins à débloquer en prenant la thématique musicale comme source d’inspiration. Certains skins sont notamment des clins d’œil à des artistes célèbres. Ainsi, l’apparence du bébé en couche-culotte que l’on avait dans Get Teddy ne sera qu’un skin de début de jeu dans Slyway.
Une autre grosse nouveauté est l’utilisation d’une carte pour agencer les niveaux, ce qui va donner une vision claire au joueur sur sa progression. L’agencement au sein d’une carte nous a également permis de mettre les niveaux les plus difficiles sur des chemins parallèles et ainsi les réserver aux joueurs les plus expérimentés. Le mode de déblocage des mondes va aussi être revu pour faciliter la progression des joueurs. Aujourd’hui, il faut un certain score pour débloquer un monde, avec la mise à jour il suffira de passer le dernier niveau pour accéder au monde suivant. Nous allons également ajouter la possibilité de sauter un niveau pour éviter à un joueur de rester bloqué. Ainsi, avec toutes ces améliorations, le jeu va contenir plus de bonus et récompenses et il devrait devenir plus accessible avec une difficulté non imposée, les niveaux les plus difficiles devenant facultatifs.
Inod : Get Teddy est disponible sur Android. Prévoyez-vous d’autres supports pour Slyway ?
Valerian Moquay : Beaucoup de mes amis attendent la version iPhone et je leur promets depuis un moment. Nous allons donc tout faire pour que la mise à jour de mars inclue le portage sur iOS. Nous n’excluons pas non plus de réaliser un portage sur PC/Mac, même si à la base, le jeu est conçu pour mobile, l’ensemble du jeu ayant été pensé en mode portait.
Inod : La bande-son est à retrouver sur Soundcloud. Peux-tu nous parler du choix de son courant musical, de la composition des pistes… ?
Valerian Moquay : À la base, je ne suis pas musicien et je ne maîtrise pas le solfège, j’avais envie de m’essayer à la composition musicale. J’ai donc appris sur le tas avec un piano midi et le logiciel open source LMMS, avec lequel j’ai réalisé l’intégralité de la bande-son.
J’ai essayé de composer des thèmes musicaux en rapport avec l’univers du jeu et des mondes, notamment à travers le choix des instruments. Bien que mon style de prédilection soit le reggae, ce qui se sent dans la musique du premier monde, j’ai voulu explorer différents types musicaux. Par exemple, sur le deuxième monde, qui est une plage, j’ai fait une bossa nova pour transmettre une ambiance calme et détendue. Au contraire, pour le dernier monde, le temple de la jungle, j’ai voulu créer une ambiance mêlant mystères, tension et suspense en m’inspirant des musiques de films.
Une des contraintes lorsque l’on compose de la musique de jeu, notamment de réflexion, c’est que celle-ci doit rester discrète pour ne pas déconcentrer le joueur. J’ai notamment recomposé plusieurs fois la musique du premier monde pour la rendre plus légère et aérienne. J’ai également substitué certains instruments qui lui donnaient un côté trop enfantin. Je vais d’ailleurs sans doute la remplacer par une nouvelle mélodie que j’écris actuellement lors de la prochaine mise à jour. Toujours est-il que j’archive l’historique de mes compositions sur Soundcloud, ce qui permet d’avoir une idée de l’évolution des mélodies.
L’avantage de composer ses propres musiques, en plus d’apporter des phases de créativité au développement, est de pouvoir créer une cohérence avec les bruitages. Par exemple, lors que l’on ramasse une étoile dans le jeu, le son émis est une note de la gamme du thème musical, ce qui donne une consistance sonore.
Inod : Tu as également en tête d’autres jeux m’intéressant grandement, de par ta volonté de traiter de problématiques sociales. Peux-tu nous en dévoiler davantage sur cette envie tout d’abord, ainsi que sur ces éventuels projets ?
Valerian Moquay : Personnellement, je conçois le jeu vidéo comme un moyen d’expression, au même titre qu’un livre ou un film. Ainsi, je trouve dommage qu’une grande majorité des productions vidéoludiques ne soient pensée qu’en termes de divertissement pur. D’autant plus que le jeu vidéo est un support qui, par son interactivité, permet d’explorer des voies inaccessibles des autres médias. Aussi, le fait d’incarner son avatar procure une empathie bien plus forte envers le personnage principal qu’un livre ou un film.
Il me semble que les générations comme la mienne, qui ont grandi avec les jeux vidéo, arrêtent de jouer une fois adulte par manque de temps, mais aussi par manque de contenu pertinent. Heureusement, avec l’essor des jeux indépendants, on sent qu’il y a une volonté de repenser notre rapport au jeu. On a ainsi vu émerger des créations avec des narrations plus profondes ou engagées.
Il y a plusieurs thèmes que j’aimerais aborder, comme le rapport à autrui, la façon dont les réseaux sociaux exacerbent les opinons et le narcissisme ou encore l’expression des rapports humains dans l’organisation du travail et la remise en question de nos paradigmes économiques.
Afin de traiter ces différents sujets, j’envisage plusieurs modes d’expression. Des jeux narratifs, assez directifs dans leur propos, et des jeux où le message passera par les mécaniques, pour laisser le joueur découvrir par lui-même un sujet. Ce dernier mode d’expression, qui est propre au jeu vidéo, est assez subtil et complexe à mettre en place.
Concrètement, pour questionner notre rapport au travail, j’aimerais réaliser un jeu de gestion dans lequel le joueur serait confronté à plusieurs injonctions contradictoires comme, par exemple, favoriser le bien-être au sein de son entreprise, tout en faisant la course à la rentabilité et compétitivité. L’idée est de montrer comment le fait de vouloir concilier des impératifs incompatibles mène à la mise en place d’un système intenable ou hypocrite. Mais également d’exposer les répercutions de ses décisions au-delà du périmètre de son organisation. Le joueur sera ainsi amené à renoncer à l’un des objectifs et s’interroger sur le sens et l’impact de ses actions.
J’envisage également un jeu où l’on incarnerait tour à tour des personnages très différents qui vont se croiser au sein d’une narration commune. L’idée, ici, est de mener le joueur à un dilemme en lui exposant les différents points de vue des protagonistes, tous étant justifiables, mais en contradiction. Il s’agit ici de réfléchir sur notre rapport à autrui en prenant le temps de comprendre comment nos expériences et nos choix forgent nos personnalités.
Ces types de jeux demandant un investissement conséquent, que ce soit en travail d’écriture ou en recherche de gameplay, je compte les autofinancer en réalisant des jeux plus traditionnels, comme Slyway. Ainsi, avant de repartir sur un développement important, je compte d’abord adapter quelques idées de gameplay avec des jeux plus classiques.
Inod : Merci Valérian pour l’interview. Désires-tu ajouter quelque chose concernant Guaranapps, Get Teddy/Slyway et/ou un message pour les lectrices et lecteurs de Gamingway ?
Valerian Moquay : Je tiens également à te remercier pour cette interview. Bien entendu, j’encourage les lecteurs ayant un téléphone sous Android à télécharger Get Teddy, c’est gratuit. Afin de bien démarrer, j’ai préparé un lien à ouvrir depuis son téléphone, offrant des consommables.
Et bien sûr, n’hésitez pas à nous faire des retours sur le jeu, nous sommes toujours preneurs de toutes suggestions d’amélioration.
Pour suivre l’état d’avancement de la mise à jour, mais également des prochains jeux, n’hésitez pas à nous suivre sur Twitter et/ou Facebook.
Interview réalisée par Inod – janvier 2017 (par email)