Interview : Christophe Galati, développeur et écrivain
Les développeurs indépendants ont le vent en poupe et sont plein de ressources ! C’est ce que nous allons pouvoir découvrir avec Christophe Galati, qui en plus de cette activité est également écrivain. Il planche aussi actuellement sur son premier jeu indépendant prévu pour une sortie officielle : Tasukete Tako-San : Save me Mr Tako !, où sa particularité de pixel artiste est mise en avant.
Gamingway : Salut Christophe, tout d’abord peux-tu nous dire qui tu es en nous évoquant ton parcours ?
Christophe Galati : Bonjour, et merci de m’accorder cette interview. Alors, j’ai 20 ans, je suis un développeur de jeu vidéo indépendant, Pixel Artiste et écrivain. J’ai grandi à Valence, dans le sud de la France. J’ai commencé à créer des jeux vidéo à l’âge de 12 ans, avec RPG Maker 2003. A la base j’écrivais beaucoup d’histoires, et faisait des sprites sous Paint. Après mon BAC, j’ai rejoint la capitale pour faire mes études dans l’école de jeu vidéo Isart Digital, en Game Design & Programming, formation en 3 ans et en alternance, qui m’a apporté les notions de programmation que je n’avais pas. C’est là que j’ai commencé à faire des Game Jam, concours d’un week-end où il faut créer un jeu. Suite à l’une d’elle, j’ai décroché mon premier stage chez Dassault Systèmes, à 18 ans. Maintenant je suis dans ma dernière année d’étude, tout en étant Game Designer & programmeur à Persistant Studios, et en faisant mes projets perso sur mon temps libre.
Et désormais nous présenter Deneos Production ?
La Deneos Production est une équipe de création de jeu amateur que j’ai monté dans le temps où je faisais du RPG Maker. Je travaillais sur un projet, appelé Moonlight Wisdom, que j’avais posté sur le forum RPG Maker Oniromancie. J’ai d’abord publié une première démo, puis après avoir endurci le scénario, j’ai recruté des gens pour travailler avec moi sur le projet, des amis de lycée tout comme des gens rencontrés sur internet. Un compositeur (MetalRenard), des utilisateurs de RPG Maker et des graphistes. J’avais même créé un forum pour qu’on puisse échanger. Ces amis m’ont ensuite suivi sur mes autres projets, certains de cours, ce qui m’a donné une avance au niveau des finitions de mes créations. Aujourd’hui tout le monde a suivi son chemin, mais je signe toujours mes projets de Deneos. Si un jour je crée mon entreprise, elle s’appellera sûrement ainsi.
Tu travailles depuis l’an passé sur Tasukete Tako-San : Save me Mr Tako !, jeu hommage à la/au Game Boy. Pourquoi cette envie ? Tu as été marqué par cette console dans ta prime jeunesse de joueur ? En précisant que tu es né un peu moins de quatre ans après sa sortie européenne.
Début 2014 il y a eu un grand moment de creux, où je n’étais plus motivé par mes cours et où je ne m’épanouissais pas dans mon stage. Du coup je me suis beaucoup donné sur mes projets persos. J’ai écrit mon livre, et une fois qu’il fut fini, j’ai commencé Tasukete Tako-San. L’année dernière était aussi celle des 25 ans du Game Boy. Effectivement, je suis né en 1994, et le Game Boy est peut-être la première console que j’ai eu dans les mains. J’ai passé énormément de temps dessus et j’ai voulu lui rendre hommage dans mon premier jeu dit «indépendant», que j’ai l’intention de publier. C’était aussi une période où j’ai découvert les Takoyaki (plat japonais à base de poulpe), qui sont entrés directement dans le Top 5 de mes plats préférés, ça m’a peut-être influencé.
Peux-tu nous raconter son scénario, nous parler de son système de jeu, ses modes, son truc en plus s’il y en a un…
Dans le monde de Tasukete Tako-San, les poulpes était autrefois l’espèce dominante sur Terre. Mais dès l’apparition des humains, leur civilisation a décliné, et les poulpes furent contraints de vivre sous la mer. Les siècles ont passé, mais un poulpe, Bako, obtient d’une fée le pouvoir d’aller à la surface. Soi-disant parti avec un bon fond, Il en revint avec des savoirs humains, dont il se servit pour créer des armes. C’est donc dans un temps de guerre entre les deux espèces que le jeu commence. Vous incarnez Tako, un petit poulpe qui ne veut pas se battre. Lors d’une bataille, il sauva une humaine tombée à la mer. Il fut aperçu par la fée, qui lui proposa de lui donner le pouvoir de respirer à la surface, mais à une seule condition, ne jamais ressentir de haine envers un humain.
Le jeu est un Action/Platformer, inspiré des grands jeux de la Game Boy (Kirby Dream Land, Mario, Castlevania, Zelda). La mécanique principale est le fait de cracher de l’encre, ce qui paralyse les ennemis, les changeant en plateformes. A cela s’ajoute de nombreux pouvoirs supplémentaires (voler, avoir une épée, un arc, planter des fleurs… ), sous la forme de chapeaux.
Le jeu se divise en trois modes : Histoire, où le joueur peut traverser l’ensemble des niveaux, traverser des villes et suivre le scénario. Un mode Runner, où l’on joue dans un niveau infini généré semi-aléatoirement, avec un scrolling forcé et où les pouvoirs trouvés dans les coffres sont aussi aléatoires. Enfin, le mode Multijoueur, où on pourra jouer à plusieurs soit en coopération dans le mode Runner, soit s’affronter en versus dans une arène, avec tous les pouvoirs.
Tu as choisi de rester fidèle au style Game Boy et non de t’engouffrer dans du pixel art faussement à l’ancienne. Etait-ce primordial pour toi de conserver ce véritable parfum GB et de ne pas choisir la facilité, le trop léché… et ainsi éviter de t’éloigner de ce que sont ses jeux ?
A la base, en plus de l’hommage, j’ai choisi le Game Boy car j’ai trouvé que c’était un bon exercice de style, du fait qu’il permettait d’afficher seulement quatre couleurs. Aussi, je trouve qu’on voit souvent des jeux de style NES (comme Shovel Knight), mais peu souvent des jeux au style Game Boy (comme Joylancer). En général les jeux Game Boy restent des petits jeux de Jams, et très peu souvent des grands jeux complets. J’ai poussé le vice jusqu’à suivre d’autres contraintes techniques de la Game Boy, à savoir le Scaling, le Zoom et les Rotations, qui sont apparus seulement avec la Super Nintendo, donc impossible sur un Game Boy. J’ai voulu rester dans l’authenticité du Game Boy et du style de Pixel Art japonais, respecter cette esthétique si particulière, et ainsi apporter ce sentiment chaleureux et de la nostalgie à mes joueurs.
Il sera tout de même possible de changer la palette de couleurs. En honneur au Super Game Boy ?
Oui, cela est possible. C’est une des premières idées que j’ai eu au sujet du jeu, et que j’ai tenu à intégrer dès la première Démo. Un ami, Brieuc Swales, m’a programmé le Shader qui permet de les changer, tout en affichant une grille de pixels sur l’écran, comme celle qu’on voyait sur les écrans Game Boy. Il le vendra sûrement une fois le jeu terminé afin de faciliter cette tâche à d’autres développeurs. On pouvait changer les palettes sur le Super Game Boy, mais aussi sur le Game Boy Color quand on jouait à un jeu Game Boy. Tako propose donc toutes les palettes qu’il était possible d’avoir, même celles qui faisaient mal aux yeux !
De quelle manière se déroule son développement, en sachant que tu fais tout seul ?
Je développe le jeu sur le logiciel Unity. Généralement, je travaille conjointement le développement et les graphismes, dans le sens où je vais d’abord faire le Sprite du personnage ou d’un ennemi, et que je vais directement l’implémenter en code. Cette méthode me permet d’avoir un rendu assez rapidement, et de voir directement grandir l’univers in-game. J’ai du coup très peu de graphismes ou de codes non utilisés. J’ai aussi passé du temps à rédiger les idées gameplay et l’histoire du jeu avant le début du développement, afin de suivre une ligne fixe et ne pas m’égarer en route. Vu que j’ai en plus de ce projet ceux de cours et mon stage, le développement a principalement lieu la nuit. Avec l’habitude, j’ai maintenant un pic de productivité entre 23h et 2h du matin. J’essaye aussi de grappiller un week-end de temps en temps. Au final, le jeu avance lentement, mais sûrement. J’aurais bientôt fini ma formation, avec les devoirs en moins j’aurais bien plus de temps pour Tako.
Quel est le plus compliqué dans la conception d’un jeu « à l’ancienne » ?
Le plus compliqué je dirais, c’est de retrouver les sensations à l’ancienne avec des outils d’aujourd’hui et de réussir à effacer le logiciel de l’esprit du joueur. Il y a maintenant énormément d’outils modernes, comme Unity et Unreal, avec de puissantes fonctions et moteurs pour la 3D, qui au final viennent un peu encombrer quand on veut faire quelque chose de plus classique. Par exemple, sur Unity, il faut faire beaucoup de réglages pour que chaque pixel en jeu face la même taille et ne soit pas déformé selon sa position à l’écran (on appelle ça le Pixel Perfect), c’est un problème que j’ai encore dans Tako, ce qui cause les traits noirs que l’on voit parfois dans le trailer. J’attends d’avoir un week-end de libre pour corriger ce problème.
Néanmoins, comme de nombreux développeurs solos de l’époque, tu ne gères pas le sound design, ni la bande-sonore. Peux-tu nous évoquer cette partie dont Marc-Antoine Archier s’occupe ? On y retrouve d’ailleurs bien les saveurs des sonorités Game Boy, cela se remarque dans le trailer du jeu.
Effectivement, je n’ai aucune compétence en terme de musique (enfin je sais lire une partition et jouer de l’Ocarina, mais ça ne suffit pas à composer toute l’OST d’un jeu). J’ai rencontré Marc-Antoine lors d’une Game Jam dans les locaux de Mozilla, où il avait fait la musique de notre jeu (Quartz). Lors de la Jam, il a composé plusieurs morceaux chiptunes. C’est une compétence pas courante chez les jeunes compositeurs, et pourtant nécessaire pour faire des jeux à l’ancienne. En effet, les musiques sur Game Boy étaient en 8 bit, il aurait été inconcevable de faire un jeu Game Boy sans respecter ce critère-là. Je l’ai donc recontacté et lui ai présenté Tako, à ma grande joie il a accepté de travailler dessus.
Une date de sortie pour Tasukete Tako-San : Save me Mr Tako ! et sur quelles machines ?
Difficile de donner une date précise pour le jeu vu que je ne peux le développer que sur mon temps libre. J’espère pouvoir le sortir avant la fin de l’année prochaine. Je suis Wii U developer reconnu auprès de Nintendo, donc le jeu devrait sortir sur Wii U, mais aussi Steam. De plus, cette semaine Unity a annoncé l’export New 3DS, j’espère vivement pouvoir porter le jeu sur ce support, qui lui sierra mieux que les consoles de salon.
Tu as de nombreux jeux derrière toi, entre ceux de cours, de jams, les personnels… Je vais donc te laisser nous parler de ce dont tu as envie sur ceux-ci. Même les détailler un par un si tu veux. Donne envie aux gens de s’y essayer, la plupart étant jouables (gratuitement) et à retrouver via ton site.
Oula, maintenant que je travaille sur Tako j’ai presque honte de certains de mes anciens jeux. Je vais parler des plus importants et de leurs univers.
Le premier jeu que j’ai réalisé était un fan-game Pokémon sur RPG Maker, appelé Gobou-Land, il n’est pas sur mon site, mais est mon tout premier jeu, sur lequel j’ai appris à me servir du logiciel, et où j’ai débuté le Pixel Art en rippant les graphismes des jeux Pokémon officiels.
Il y a ensuite eu Elemental Chain, premier scénario que j’ai écrit et premiers sprites originaux que j’ai réalisé.
Moonlight Widsom, projet qui a vu naître la Deneos Production. Travail d’écrit et de pixel beaucoup plus conséquent, beaucoup de recherches sur l’univers, qui attendent seulement de sortir de leur carton.
Dans les jeux jouables, venus une fois que j’ai intégré mon école, il y a Hespal War, un Tower Defense réalisé en fin de première année. Il est le dernier jeu où j’ai utilisé la Deneos Production. En effet, MetalRenard s’est occupé des musiques, Guillaume Kuc de l’interface, et moi des sprites et du code. J’ai même pu y glisser une petite histoire.
Dans les plus récents, il y a I’m your Eyes, jeu où vous contrôlez un Panda Roux et où vous devez défendre une petite fille aveugle face à des ombres qui l’assaillent.
Projet Survival, un petit prototype de jeu d’horreur sur l’Oculus Rift, où vous ne devez jamais perdre des yeux la créature.
Il avait les mains froides, jeu d’arcade où il faut faire un grand score en touchant des ennemis avec un boomerang, basé à la fois sur l’Opéra « Werther » et la chanson « Boomerang » de Gainsbourg.
0 Heaven, jeu réalisé pour la PewDiePie Jam, croisement entre KuruKuruKururin et Binding of Isaac, avec des graphismes typés Game Boy Advance.
Backtracking, réalisé durant la Global Game Jam, où après avoir tué le Grand Méchant et pris la route inverse, vous vous rendez compte que le méchant c’est peut-être vous.
Et enfin, le petit dernier, Alan, réalisé durant la RetroJam, où vous incarnez un petit Alien qui doit s’infiltrer dans un champ pour enlever les vaches, sans se faire prendre par les fermiers.
D‘autres projets de jeux en cours et/ou à l’esprit ?
Je travaille actuellement sur mon projet de fin d’étude, Papillon, un jeu où on incarne successivement une chenille et un papillon, et où il faut ressusciter un jardin en friche.
A côté de ça, j’ai un projet en entreprise, Boiling Bolt, un Shoot’Em Up dans un univers Steampunk, prévu pour PC et consoles, qui met en avant les effets PopcornFX (moteur de particules propriétaire de l’entreprise).
Sinon, pour mes projets futurs, j’ai hâte de pouvoir retravailler sur un JRPG, un Zelda-Like ou un Tactical.
Cela étonnera le bien-pensant lambda, mais jeu vidéo et littérature peuvent aller ensemble. Tu en es la preuve avec l’écriture d’un roman fantastique, Memory from the Grave. Est-il possible d’en apprendre davantage, notamment sur son histoire, ainsi que sur son illustration par Guillaume Kuc ?
Memory from the Grave est une histoire que j’ai imaginé lorsque je visitais le cimetière du Père Lachaise, à Paris. Elle raconte l’histoire d’Ange, un enfant de 10 ans qui vit dans un cimetière et qui n’en est jamais sorti. Sa mère est morte et il pense que son père le déteste. Une vie très joyeuse en somme. Mais un jour, il va rencontrer un chat fait de brume, qui va le guider vers des tombes. Il va y revivre l’histoire des défunts, jusqu’à leur mort. Il va ainsi apprendre les choses de la vie, comme un voyage initiatique. Mais, au fil des tombes, des ombres vont aussi commencer à apparaitre dans son monde. Il s’agit du premier livre que je compte publier. Je suis actuellement en discussion avec un éditeur. Au niveau de l’illustration, j’ai tout naturellement fait appel à Guillaume Kuc, ami de lycée qui était aussi membre de la Deneos Production. J’ai écrit mon livre de sorte qu’il soit adaptable en jeu, j’ai donc pensé plusieurs scènes fortes avec des symboles visuels, que j’aimerais voir illustrées. J’espère qu’il vous plaira.
Christophe je te remercie pour cet entretien, désires-tu ajouter quelque chose à propos de Tasukete Tako-San : Save me Mr Tako !, de tes divers projets et/ou un message pour les lectrices et lecteurs de Gamingway ?
Merci à toi pour cette interview, merci à tous ceux qui soutiennent Tako et mes projets, et merci aussi à ceux qui auront lu l’interview, en espérant que mes propos vous ont apportés quelque chose. J’ai hâte que vous puissiez tous jouer à Tako, et faire revivre en vous l’espace d’un instant le souvenir de cette grande console qu’est le Game Boy.
Interview réalisée par Inod – avril 2015 (par e-mail)
Trailer de Tasukete Tako-San : Save me Mr Tako ! :