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Interview : Alexandra STRUK, Cheffe de Projet TSARA

tsara logoSi vous suivez Gamingway, vous vous souvenez qu’on vous a parlé de TSARA dans notre dossier sur l’autisme et les jeux vidéo. Cette application gratuite pour smartphones iOS et Android permet d’incarner un aidant, afin de réfléchir aux difficultés rencontrées par un autiste. À l’occasion de la sortie de TSARA, le 7 avril, la cheffe de projet Alexandra STRUK a accepté de répondre à quelques questions, malgré un emploi du temps chargé. Allez hop, c’est parti !

Enguy : Comment vous est venue l’idée de créer une application pour se mettre à la place d’un aidant ? Est-ce parce qu’il y a pas mal d’applications pour aider les autistes, mais aucune concernant ceux qui tentent de leur venir en aide ? Ou est-ce un moyen un peu détourné d’obliger le grand public à se mettre dans la peau d’un autiste et de l’obliger à réfléchir au problème ?

alexandra strukAlexandra Struk : En fait, l’idée initiale est née en 2012, année de la grande cause nationale de l’autisme. J’ai effectué mon mémoire à Science Po Bordeaux sur cette thématique et ai lu l’ensemble des textes officiels sur l’autisme, notamment les recommandations de bonne pratique et le socle commun de connaissance. Très honnêtement, la lecture de ces texte est très fastidieuse, et difficilement compréhensible pour le commun des mortels (en volume cela représente l’équivalent de 3 volumes de 400/500 pages).

Pas étonnant, donc, que les professionnels, parents, enseignants, et tous les aidants de personnes avec autisme se sentent démunis et peu outillés, puisque comme vous le dites, il existe très peu d’outils de vulgarisation (et encore moins d’appli). L’idée de TSARA, c’était de diffuser ces recommandations de manière ludique et didactique. Pour que tout un chacun puisse comprendre l’autisme et apprendre à accompagner l’autisme.

L’objectif secondaire, c’est aussi de viser le grand public qui connait assez peu ce handicap en France. Aux États Unis, tout le monde (boulanger du quartier…) sait ce que veut dire Aspie (Asperger, autisme de haut niveau), et personne n’est choqué des comportements « bizarres » des personnes avec autisme. Apple a lancé, par exemple, cette année, une grande campagne de communication sur l’autisme, dans le cadre du « mois de l’autisme » (avril 2016).

Nous espérons que TSARA contribuera également à médiatiser cette cause, et surtout à permettre au grand public de comprendre, d’apprendre et de se former.

Enguy : Pourquoi cet acronyme TSARA ? Cela fait un peu marque de voiture [NDLR : cela fait furieusement penser à la Citroën Xsara]. Il y a SAM pour l’alcool et d’autres « mascottes » de ce genre, est-ce pour démarquer l’application de ce qui existe déjà dans d’autres domaines ?

Alexandra : (rire)

TSARA, cela veut dire Trouble du Spectre de l’Autisme et Recommandation aux Aidants. Je voulais vraiment faire un acronyme qui utilise la terminologie des « TSA », c’est un parti pris qui se réfère aux dernières recherches sur l’autisme, qui prouvent qu’il n’existe pas une forme d’autisme, mais une infinité (un spectre large). Au départ, j’avais eu l’idée de TSAR, anagramme de STAR (l’objectif du jeu c’est de gagner des étoiles). Mais plusieurs personnes n’ont pas trouvé l’idée très bonne, cela rappelait trop la Russie. C’est Thierry Dimbour qui a suggéré TSARA (rajouter « aidant » à la fin). En fait, c’est vraiment difficile de trouver un nom percutant, mais qui ait du sens pour tous (moi, l’idée de la voiture, cela ne m’a même pas effleuré l’esprit ^^).

Enguy : Pourquoi une application smartphone et non sur PC ou console, voire console portable ? Plus facile à développer, public cible, coût de développement moindre ?

Alexandra Struk : Oui clairement, dans la mesure où l’objectif c’est d’assurer la gratuité de l’application, nous voulions absolument maitriser les coûts. C’est la raison pour laquelle nous n’avons pas fait appel aux services d’une boite spécialisée dans la création de jeu vidéo (les devis étaient trop chers). Nous avons internalisé le développement au CREAI Aquitaine, et travaillé en collaboration avec de grandes écoles d’ingénieur en informatique et en science cognitive (EINSEIRB et ENSC). L’appli est une webapp compatible Android et IOS. Nous ne l’avons pas développée pour l’instant pour les Windows Phone, en raison de leurs parts de marché qui sont relativement réduites.

Enguy : Quelles sont vos attentes concernant TSARA ? Des chiffres précis ?

Alexandra Struk : Dans la mesure où l’autisme touche 1 personne sur 150, nous estimons que les aidants (parents, fratries, enseignants) représentent près de 3 millions de personnes en France. Sans compter les collègues de travail, les familles élargies (cousins, grands parents…), les babysitters, etc.

De plus, l’appli est traduite en anglais, ce qui lui ouvre une dimension internationale…

Nous espérons qu’un maximum de personnes pourront s’en saisir ^^.

autisme chiffres

Enguy : Êtes-vous tenté par une collaboration avec de gros éditeurs comme Activision et Autism Speaks, Microsoft et Kinetix Academy ou la Fondation Orange ?

Alexandra Struk : La fondation Orange est notre mécène principal, il nous ont énormément soutenu. Le financement initial du conseil régional et de l’ARS Aquitaine nous permettait de développer une petite appli avec une vingtaine de scènes (sans mise en son, sans traduction). Grâce à la fondation Orange, nous pouvons aujourd’hui proposer une appli aboutie, avec près de 106 scènes, 4 h de jeu environ, traduite en anglais… et entièrement gratuite.

Nous sommes évidemment ouverts à toute collaboration et sommes en contact avec Google et Apple.

Enguy : Serait-il souhaitable de voir plus d’autistes dans les jeux vidéo ? En faire des héros ? Ou cela pourrait-il leur être défavorable ?

Alexandra Struk : Le cinéma et les séries TV (surtout américaines) se sont déjà saisie de cette question, montrer des héros avec différents handicap n’est plus un tabou (même dans des dessins animés pour enfants comme Dragons). Donc bien sûr, des héros avec autisme pourraient tout à fait voir le jour dans des jeu vidéo.

Dans TSARA, vous incarnez un aidant, et vous devez aider Adam, jeune avec autisme, à aller au supermarché, à l’école et dans différentes situations de la vie quotidienne. Le fait de mettre en scène ces situations complexes dans un dessin animé, cela permet de prendre un peu de recul par rapport à une situation, de le traiter sur le ton de l’humour. Ces même procédés sont utilisés par les Simpson ou South Park, pour traiter des problèmes politiquement incorrects de manière humoristique.

Je dirais que si le jeu est bien fait, bien réfléchi, et que l’angle est bien choisi, il n’y a pas de raison que le fait de traiter de l’autisme dans les jeux vidéo leur soit défavorable. Comme tout bon jeu vidéo, tout réside dans l’histoire que l’on veut raconter.

Enguy : Pensez-vous qu’on peut améliorer la condition des autistes par l’éducation en intégrant le problème aux programmes scolaires ? Car si l’Éducation Nationale évoque l’autisme sur son site officiel, dans les nouveaux programmes il est juste question de l’enfant/adolescent et du numérique, mais pas de l’intégration des personnes atteintes de troubles de l’attention ou autre.

Alexandra Struk : On peut améliorer l’intégration des personnes avec autisme dans notre société, et nous avons de gros progrès à faire en ce sens à tous les niveaux. Mais l’école forme les citoyens de demain. Accueillir à l’école différents types de handicap (pas que l’autisme), sensibiliser les enseignants, mais aussi les élèves à mieux accepter la différence, c’est une étape vers une meilleure intégration de ces personnes vulnérables.

La loi de 2005 donne aujourd’hui le droit à toutes les personnes handicapées d’avoir accès à l’école ordinaire. Mais beaucoup d’autistes sont aujourd’hui accueillis à l’école 2 h par semaine. Autiste ou pas autiste, quel enfant peut apprendre réellement s’il ne suit que 2 h de scolarité par semaine ? La question n’est pas simplement de savoir quel programme changer, mais de former les équipes éducatives à l’accueil des personnes avec autisme, et d’avoir une réelle volonté pour l’Éducation Nationale d’enseigner à ces élèves (2 h par semaine d’école, on peut appeler cela un accueil, mais ce n’est pas une scolarité).

Enguy : Quel est votre avis sur Kinect en tant qu’outil pour aider les autistes ? Pensez-vous que la réalité virtuelle peut contribuer à aider encore plus les autistes et envisagez-vous d’exploiter ces nouveaux outils ?

Alexandra Struk : J’ai vu les activité du Lakeside Center au US, qui ont un partenariat avec Microsoft, et les résultats sont très bons. Utiliser la [caméra] kinect en usage détourné pour travailler sur les compétences motrices des jeunes autistes permet d’augmenter leur intérêt, leur motivation, leur envie de progresser. Le Serious Gaming (usage détourné des jeux vidéo de divertissement à d’autres fins, notamment thérapeutiques) a beaucoup d’avenir, notamment avec la réalité virtuelle.

La réalité virtuelle est encore une technologie confidentielle, peu utilisée par le grand public. C’est un excellent sujet de recherche, qui ouvre beaucoup de perspectives d’utilisation, notamment pour les personnes avec autisme (travailler sur les regards, la motricité, etc.), mais peut-être pas pour toutes les formes d’autisme. Je pense que pour le coup, la réalité virtuelle devrait être plutôt encadrée avec des professionnels, parce que la perception de la réalité est complètement altérée et que cela peut être très perturbant pour des personnes fragiles.

Enguy : Avez-vous déjà en tête de futurs projets, même totalement différents, et si oui, pouvez-vous en parler ?

Alexandra Struk : Sur TSARA, beaucoup d’évolutions sont possibles :

– nous souhaiterions ajouter d’autres types d’aidants : personnel médical, éducateur, etc.

– et nous pouvons envisager de traiter d’autres type de handicap sur le même modèle : la dyslexie, par exemple.

Après, j’ai beaucoup d’autres idées sur l’autisme, quelques autres sur des appli. Mais ce n’est pas trop dans mon caractère de lancer des idées sans en faire quelque chose. J’espère qu’au moins l’une d’entre elles pourra voir le jour en septembre.

L'équipe bordelaise derrière TSARA
L’équipe bordelaise derrière TSARA

 

J’espère que ces quelques mots vous donneront l’envie d’essayer TSARA, même par simple curiosité, et d’en parler autour de vous. Nous souhaitons à toute l’équipe une belle réussite. En plus, les réponses et les explications ont été parfaitement pensées.

« DES RECOMMANDATIONS OFFICIELLES VALIDÉES PAR DES EXPERTS
Les réponses mises en scène par TSARA sont en cohérence avec les recommandations de la Haute Autorité de Santé (HAS), de l’Agence Nationale de l’évaluation et de la qualité des établissements et services sociaux et médico-sociaux (ANESM) en matière d’autisme (2010, 2012), du Ministère de l’Éducation Nationale (2009). »

Un grand merci à Alexandra Struk et Sandra Boyer pour m’avoir accordé un peu de leur temps.

Interview réalisée par Enguy, avril 2016.

 

3 réflexions sur “Interview : Alexandra STRUK, Cheffe de Projet TSARA

  • On espère que cette application pourra être présenté dans les écoles bientôt car le corps enseignant devrait mieux comprendre les enfants différents. Mon fils de 9 ans est autiste et je compte bien partager tsara avec tous mes contacts. Bravo à l équipe, ça change des jeux et on apprend beaucoupp
  • Bonsoir Meryam,
    C’est en communicant sur cette application, en parlant des gens qui l’ont développée qu’on arrivera peut-être à attirer l’attention des pouvoirs publics.
    Bon courage pour votre fils, j’ai connu plusieurs élèves autistes et je sais que c’est difficile pour les familles, en raison du regard des autres et du manque de moyens… enfin, surtout le manque de volonté de vouloir faire changer les choses.
  • Très bonne interview qui donne envie de tester ce fameux jeu/logiciel.
    Merci :)

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