Gamingday : Portrait de joueuse – Patar
Troisième semaine, troisième portrait. En cette journée de Saint-Valentin, c’est Patar qui se prête à l’exercice de l’interview et vient nous parler de son rapport au monde du jeu vidéo.
« La joueuse qui n’a pas fait un seul Final Fantasy. (fuck da police) » |
Bonjour, pourriez-vous vous présenter en quelques mots ?
Je m’appelle Cyrielle et mon pseudo est Patar ou Ladypatar (souvent parce que le premier est déjà pris) sur les internets. Je suis rédactrice freelance et en ce moment, je rédige des news dans la rubrique Jeux Vidéo de Numerama.
Depuis combien de temps jouez-vous au jeu vidéo et quelle place ce loisir occupe-t-il dans votre vie ?
Je situerais ma première interaction avec les jeux vidéo autour de 4/5 ans, que j’ai dû connaître grâce aux enfants d’une dame qui nous gardait mon frère et moi quand nous étions petits. Vers 6 ans, j’ai tanné ma mère pour avoir une Super Nintendo.
J’ai pas mal joué durant l’enfance/pré-adolescence, pour moi c’était une activité comme une autre. Je jouais aussi bien aux Barbies qu’aux jeux vidéo, il arrivait que l’on passait des matinées entières sur le PC avec mon frère. J’ai un peu freiné le jeu au collège et au lycée, parce que j’ai découvert la musique et que je n’étais pas amie avec beaucoup de joueurs. J’ai repris pas mal à la fac – où je jouais à WoW en amphi – et aujourd’hui c’est devenu mon gagne-pain et une des sphères culturelles sur lesquelles j’aime écrire et apprendre des choses.
Quel est le premier jeu à vous avoir vraiment marquée ?
C’est difficile à dire, il y a Super Mario World, puisque en sa qualité de premier jeu auquel j’ai joué, il m’a forcément marquée, et c’est forcément le premier. Après, si je devais retenir un jeu qui m’a vraiment foutu une branlée, je dois avouer que je ne sais pas trop quoi répondre. Il y a énormément de jeux avec lesquels j’ai de très bons souvenirs, et sur lesquels j’ai passé des jours entiers et qui m’ont vraiment plus. Mais je n’ai pas l’impression d’avoir encore reçu de claque vidéoludique comme j’ai pu en recevoir en musique. Un que je retiens, c’est Fable, pour avoir la « liberté » d’être un personnage exemplaire ou un gros fumier, je trouvais ça révolutionnaire à l’époque. Un autre que j’aime beaucoup aussi c’est Urban Chaos, et le fait de pouvoir incarner une femme flic noire.
La classique question impossible : si vous ne deviez garder qu’un seul jeu, quel serait-il et pourquoi ?
Probablement un Civilization, quitte à n’avoir qu’un seul jeu à jouer, autant qu’il soit long.
Pour suivre l’actualité, vous êtes plutôt presse papier, sites internet, chaîne télé spécialisée ou « youtubeurs » et « streameurs » ? Sans nécessairement donner de nom, pouvez-vous expliquer ce que vous souhaitez y trouver ?
En actu JV ou en actu générale, ma principale source est Twitter. Si j’ai besoin de précisions sur une news, je vais sur le site qui l’a écrite. Mais en tant que rédactrice de news moi-même, je dois surtout chercher à créer la mienne quand c’est possible, ou en tout cas, glaner le plus d’infos un peu partout s’il y en a une à faire passer.
Je fuis le monde de Youtube comme la peste. J’ai regardé PewDiePie pendant une période, mais ça ne m’intéresse plus. Twitch ça va encore si on évite de creuser et si on se contente de regarder, mais j’imagine que tôt ou tard – je pense même que c’est déjà le cas – les streameurs vont connaître les mêmes travers que l’on reproche aux youtubeurs. En tout cas, pour moi, les youtubeurs et les streameurs ne sont pas vraiment des sources d’actualité, ce sont des personnes qui suivent cette actu pour faire connaître aux gens ce qu’il se passe, et peut-être participent-ils au fait que l’on entende plus parler d’un jeu que d’un autre. Youtube dans son ensemble reste par contre évidemment la plateforme-source pour tout ce qui est annonce, trailer etc.
Pensez-vous qu’il y a une différence de traitement entre joueuse et joueur ? Si c’est le cas, que devrait faire le monde du jeu vidéo (industrie, presse) afin d’améliorer les choses ?
La différence est là à de multiples échelles. D’un point de vue marketing et commercial, on vend encore des « jeux pour filles » et quand ce n’est pas clairement estampillé comme tel, on oriente clairement la destination du jeu en foutant du rose partout. Pour tout le monde, rose = fille. C’est une habitude qui persiste et dans laquelle tout le monde a été éduqué. C’est déjà un premier point. Pour tous.tes ceux et celles qui penseront « oui, mais il y a des jeux estampillés pour garçons aussi », il faut savoir que c’est bien là la conséquence du travers de vouloir séparer les jeux par genre, et de vouloir mettre les filles à part. On qualifie ces jeux « pour garçons », parce qu’il existe toujours cette peur de la féminité (femme = faible, on le sait bien) et de la féminisation d’une personne qui n’est pas censée l’être.
Très personnellement, je n’ai jamais été vraiment confrontée à des remarques sexistes dans mon travail et mes fréquentations professionnelles. Mais en tant que femme, je subis forcément les généralités qui sont encore très fortes, celle que je viens de citer plus haut étant un des exemples. Je vois encore les regards surpris des gens lambdas quand je dis que je suis journaliste jeux vidéo, et que par extension, je fais savoir que j’ai une connaissance dans le domaine qui va au-delà de Candy Crush.
Dans les nombreux débats sur le sujet, j’ai souvent vu des gens essayer de disculper la sphère du jeu vidéo pour son sexisme en disant que c’est la société qui est comme ça, qu’on ne pourra pas faire des efforts si la société entière n’en fait pas. Pour moi, ce n’est pas une excuse, c’est rejeter sa responsabilité sur les autres. Il faut bien commencer quelque part, se balancer la patate chaude ne fera que retarder les démarches pour rendre les gens égaux dans un domaine. Donc je ne vois vraiment pas en quoi essayer de se bouger à travers la culture et un média pratiqué par une énorme tranche de la population serait contre-productif.
En tout cas, j’ai rencontré beaucoup de gens dans le monde du jeu vidéo, des hommes et des femmes, qui sont prêts et qui font ces efforts, qui s’intéressent à la question, qui la rejoignent voire qui militent pour elle. Moi j’aime tout le monde (genre, vraiment), à partir du moment où on me laisse faire ce que j’ai envie de faire et que l’on vienne pas remettre en question mes capacités ou mes intentions dans le milieu, sous le prétexte que je suis une femme (après, vous avez le droit de dire objectivement que j’écris comme un cul).
Et oui, j’aime aussi voir quand on accorde du crédit à des héroïnes de jeux vidéo, ça change et ça ne change rien en même temps. Ça change, parce que ça reste encore une exception, et en même temps, que ce soit homme ou femme, ça ne change absolument rien à l’expérience de jeu (jouez à Jotun).
Dernière question, mais pas des moindres : si vous deviez désigner une femme emblématique du jeu vidéo (fictive ou réelle) ? En quoi vous inspire-t-elle ?
Des femmes emblématiques dans le JV, je n’en vois pas beaucoup, du coup assez peu de noms me viennent en tête, et ce n’est pas forcément des femmes sur qui je vais m’inspirer, parce que je ne me reconnais pas forcément dans leur travail ou leur profession, ou simplement parce que je ne les connais pas plus que ça. J’ai envie de dire que toutes les femmes qui se battent pour se faire une place dans le JV m’inspirent (hashtag démago). Toutes les femmes qui à travers des actions, quelles qu’elles soient, essayent de montrer aux hommes qu’on n’est pas là pour leur « piquer la place », remettre en question leur virilité, les rabaisser ou je ne sais encore quelle crainte bizarre une personne pourrait avoir d’une autre qui a juste envie de jouer ou d’exercer son métier. Je n’ai pas vraiment envie de me ranger derrière le drapeau d’une personne en particulier, pour moi le problème est général, et si le JV peut faire partie des communautés qui s’efforcent de changer en son sein les déséquilibres d’une société entière, pour moi c’est déjà un excellent début. Parce qu’on voit encore la communauté des gamers comme une sphère de niche, or déjà ce n’est absolument pas le cas (cf les multiples études qui recensent le nombre de gamers partout dans le monde), et de plus, les grosses entreprises du JV font partie de celles qui brassent le plus d’argent d’une manière générale. Elles ont forcément un poids, orientent forcément des tendances, et ont très probablement le pouvoir de changer beaucoup de visions à travers leurs créations.
Bref, pour résumer, je n’ai pas un nom, j’en ai des dizaines. Des femmes joueuses, créatrices, développeuses ou rédactrices, comme moi aussi, qui spamment leurs followers sur Twitter d’articles et d’opinions sur la place de la femme, que ce soit en général ou dans le JV, et qui espèrent éveiller des consciences.
Propos recueillis par Ominae // décembre 2015
► Retrouvez Patar sur Twitter : @LePatar
Vivement le prochain portrait ;)
Geek en Rose : Merci ! En me relisant j’ai eu un peu peur de sortir des aberrations. Urban Chaos est un excellent jeu qui parle de cette peur populaire du bug de l’an 2000 (il est sorti en 99), c’est très drôle de repenser à son scénar’ des années plus tard.