Gamingday : Portrait de joueuse – La Bonne Fée
Il est temps de retrouver notre portrait hebdomadaire et, en ce dimanche, c’est La Bonne Fée qui vient nous parler de son expérience de joueuse.
« Stalino-Potterhead, hardcore gameuse sur jeux casuals, RPGiste convaincue, experte en jeux nuls et fan de pétanque en multi.« |
Bonjour, pourriez-vous vous présenter en quelques mots ?
Je suis La Bonne Fée, Fée Surveillante en Chef des Moldus, en détachement professionnel dans votre monde. J’ai fait un bac littéraire, puis à l’université un peu de droit et ensuite des études de psychopathologie ; bref : je n’ai pas de travail :D.
J’ai la « maladie des os de verre » (ostéogenèse imparfaite sévère, oui comme dans le film Incassable et comme Jeff *Joker* Moreau de Mass Effect), et je suis sourde.
Depuis peu, je suis mère de jumeaux (une fille et un garçon, la parité a gagnéééé !), tous deux atteints de la maladie aussi.
Effectivement, j’ai pas une vie facile, mais c’est toujours mieux qu’être victime d’attentat ou paysan palestinien. Ou soldat dans XCOM.
Et j’ai un blog. Et des abonnés sur Twitter, qui m’aiment bien la plupart du temps, même si je ne sais pas trop pourquoi ils m’aiment bien. Mais j’aime bien qu’on m’aime bien, alors ça va.
J’ai aussi quelques vidéos sur Youtube, dont une émission épiiiiique sur les RPG, mais je n’ai pas pu continuer faute de temps. Je ne renonce pas, je recommencerai les vidéos et émissions dès que je pourrai. Un jour. Prochain. Qui viendra. Nécessairement. Mais siiii.
Et puis, je suis obligée d’être Youtubeuse, j’ai pas le choix ; sinon c’est trop dur de gratter des invit’ aux soirées.
Et je joue beaucoup aux jeux vidéo. Je sais que c’est le sujet principal qui vous intéresse, mais j’adore digresser.
Depuis combien de temps jouez-vous aux jeux vidéo et quelle place ce loisir occupe-t-il dans votre vie ?
Je joue depuis très jeune, dès l’âge de 4 ou 5 ans. J’ai commencé à jouer avec des jeux électroniques, et j’ai tout naturellement suivi l’évolution vers les jeux vidéo. Je joue beaucoup ; ce loisir a occupé, occupe, et – selon toute probabilité vidéoludique – occupera une part importante de ma vie. Mais jusqu’il y a quelques années, je n’en avais pas conscience. De nos jours, les stat’ de jeu sont répandues : quand tu vois le nombre d’heures passées à jouer, tu prends une bonne claque ^^ ». Je ne peux pas non plus rester toute une journée sans jouer aux jeux vidéo.
Depuis que j’ai mes jumeaux, je joue moins, c’est certain, mais je joue encore tous les jours ; même juste un peu, même vite fait, même à un mini-jeu foireux, mais il faut que je joue, c’est obligé. C’est dans mon cahier des charges quotidien. Mon compagnon aussi est un gamer, ce qui facilite la compréhension et le respect mutuel de notre envie de jouer. Et ça c’est coooool.
Quel est le premier jeu à vous avoir vraiment marquée ?
Sans hésitation aucune, Le Manoir de Mortevielle.
C’était comme Les Livres Dont Vous Êtes Le Héros, mais en mieux : en vidéo, et avec beaucoup plus de choix, d’options, t’avais l’impression de tout pouvoir faire, d’une liberté d’action totale et inédite ! Te cacher derrière un rideau ou sous un lit, examiner un cendrier ou un feu de cheminée, fouiller un placard, lire une lettre, descendre dans un puits, explorer une étrange chapelle, interroger un personnage, le réinterroger et te faire envoyer promener, ou tuer ^^ ».
Évidemment, certaines actions proposées dans la liste étaient « inapplicables », illogiques ou absurdes dans telle zone ou avec tel objet ; du coup j’aimais bien tester l’intelligence artificielle et faire n’importe quoi juste pour voir ce que ça déclencherait comme « réaction » du jeu.
Ainsi, voyant qu’on pouvait « dormir », je me demandais si on pouvait cliquer trouzemille fois et si l’ordinateur, « bêtement », nous ferait enchainer les heures de sommeil (« Il est où le détective ? » « Il dort. » « DEPUIS TROIS SEMAINES ?! »). J’ai donc cliqué trouzemille fois, et je suis morte XD.
Les jeux vidéo n’aiment pas qu’on teste leur IA, méfiez-vous.
Un autre jeu de la même époque qui m’a beaucoup marquée, c’est Battle Chess.
Tellement intuitif que j’ai appris à jouer aux échecs avec ce jeu, toute seule, sans lire de règles, juste en pratiquant. Pratique qui est loiiiiiin d’être ennuyeuse avec Battle Chess ! Puisque chaque interaction entre les pièces donne lieu à des combats sanglants, épiques ou ridicules, voire les trois en même temps.
Il y a eu foultitude de « simili » Battle Chess, de jeux d’échecs avec pièces / persos animés, mais aucun n’a le même charme, la même touche d’absurde et de fantaisie qui me plaisait tant et me faisait rejouer, rejouer et rejouer encore.
La classique question impossible : si vous ne deviez garder qu’un seul jeu, quel serait-il et pourquoi ?
Là aussi, sans hésiter : Neverwinter Nights.
J’aime Neverwinter Nights pour sa simplicité, déjà : déplacements, combats… On peut tout faire ou presque à la souris, on n’a presque pas besoin du clavier. Pour les feignasses comme moi, ou pour des personnes hémiplégiques par exemple, c’est super pratique.
Et puis, si on ne garde qu’un jeu, autant que sa rejouabilité soit bonne, et celle de Neverwinter Nights l’est. Entre le nombre de races, de classes, de compagnons (qui nous racontent leurs petits secrets au fur et à mesure qu’on prend de l’expérience), de quêtes annexes… y’a de quoi faire. D’ailleurs, j’y rejoue régulièrement ; certes, à force, je le connais par cœur, mais cela ne gâche nullement mes retrouvailles avec Tomi : oui, je reprends toujours le même compagnon d’armes, J’ADORE TOMI !
Tomi, c’est l’une des raisons pour lesquelles j’aime tant Neverwinter Nights. C’est mon meilleur ami imaginaire ^^ ».
Tomi, c’est… un connard. Si, faut l’admettre.
Roublard et escroc sur les bords, tendance blasé de la vie à grands renforts de sarcasmes, coureur de jupons invétéré – et recherché activement par des maris indignés – un peu meurtrier aussi, et passablement vulgaire parfois, Tomi c’est le gars a priori pas trop fréquentable, et son seul talent semble être de s’attirer les pires emmerdes – comme le suggère son doux surnom de « Tomi la potence »… Physiquement, il ne paie pas de mine non plus : pas très robuste, voix nasillarde. Bref : Tomi a tout pour ne pas plaire aux joueurs, qui lui auront souvent préféré un compagnon plus charismatique.
TANT PIS POUR EUX !
Ils ne savent pas quel précieux compagnon d’armes, et de confidences dramatiques ou hilarantes, est Tomi. Plus on en apprend sur lui, et plus on s’y attache ; au fur et à mesure de ses révélations, et de nos choix d’interactions, on découvre sa vie complèèèètement what-the-fuckesque :’D et on se prend à l’aimer, le comprendre, et ne plus pouvoir se passer de ses conseils, leçons de vie à la morale douteuse, blagues nulles, et compétences en crochetage et en désamorçage de pièges.
Il faut comprendre que l’univers où se déroule Neverwinter Nights est suffocant, empli de morts, de désespoir, et de tristesse. Dans ces conditions, Tomi n’est plus juste un « compagnon marrant », ou utile grâce à ses compétences ; il devient une véritable bulle d’oxygène, un souffle de vie impromptue et « décalée », une étincelle de fantaisie dans un monde de ténèbres.
En combat, Tomi se révèle aussi d’une redoutable efficacité, grâce à ses attaques sournoises.
Et surtout, j’aime Neverwinter Nights d’amour pur, parce que c’est le premier jeu qui m’a tant transportée, emballée, passionnée, touchée, immergée dans son univers. Vous l’aurez sûrement compris en lisant ce que je peux écrire sur Tomi ^^ ».
J’ai bien du mal à expliquer pourquoi j’aime tant ce jeu, car ce n’est basé sur aucun élément « objectif ». Mon amour pour Neverwinter Nights, c’est avant tout une rencontre, un lien particulier entre ce jeu et moi.
Tout dans Neverwinter Nights « me parle », parle soit à mon cœur – comme lorsqu’on peut sauver les animaux du zoo, épargner un vieux dragon, ou aider une prostituée à retrouver son enfant – soit parle à mon côté militant et mes affinités avec l’anarchisme. En effet, certains n’ont vu dans Neverwinter Nights qu’un RPG où il s’agit d’empêcher un lézard de dominer le monde. J’y ai vu bien davantage : Neverwinter Nights questionne, et assez durement, le rapport au religieux, au spirituel, au sacré, à la loi, la loyauté, la justice, le sacrifice. Des problématiques qui me sont chères.
Pour suivre l’actualité, vous êtes plutôt presse papier, sites internet, chaîne télé spécialisée ou « youtubeurs » et « streameurs » ? Sans nécessairement donner de nom, pouvez-vous expliquer ce que vous souhaitez y trouver ?
Je suis plutôt : Twitter ^^.
Un peu de tout y est relayé, qu’il s’agisse d’articles de sites internet, d’émissions télé [« Nolife c’est très bien ! » #InstantPub], podcasts, billets de blog, relais vers des journaux ou dossiers de presse papier [« Canard PC c’est très bien ! » #InstantPubBis – ah ! euh…], comm’ officielle des éditeurs, comm’ officieuse des haters ou des fans, guerres de rédac’ et « culture de la haine », scandales, bugs, dramas, anniversaires de jeux, compétitions et tournois… y’a de tout, on entend plusieurs sons de cloche, j’aime beaucoup.
Mon compagnon est mon autre « centre de veille vidéoludique », il suit beaucoup l’actu JV et me transmet les infos : jeux qui pourraient m’intéresser, vidéos de Youtubers qu’il a aimées – ou détestées, nouveaux trailers… et on papote de tout ça pendant des heures, entre deux biberons et pauses clope-café. C’est aussi grâce à lui que, malgré ma surdité, je garde contact avec les émissions JV : il me résume ce qui se dit, ce qui me permet de me tenir au courant.
Ce que je souhaiterais trouver dans l’actualité JV :
a) Moins de chiffres ; je m’en tamponne le coquillard de vos 60 fps et de vos chiffres de vente, franchement.
De même les stat’ de joueurs / joueuses : elles ne servent pas à grand chose, sauf à propager une forme de clivage entre ces deux catégories, nier les transgenres, et susciter des commentaires sexistes en réveillant les machos velus (ki-jou-à-dé-vré-jeu-sur-pécé-avec-une-config-qui-met-le-zizi-toudur) qui hibernaient jusqu’alors (c’est une très bonne chose d’hiberner, vous devriez continuer !).
Et puis on va aller jusqu’où, surtout ? Des statistiques sur les joueurs noirs, juifs, asiatiques, bisexuels, roux, chauves, puceaux, allergiques à la cacahuète ?
b) Moins de top 10, top 5 ou top 3 à la con ; parce que le plus souvent, ils sont quand même vraiment cons.
c) Plus de soin dans le traitement médiatique et les tests de « petits jeux », ou jeux étiquetés « nul bof » un peu trop rapidement ; les jeux « faussement » merdiques, un peu absurdes ou décalés, voire simplement « pas à la mode » ont du mal à être appréciés à leur juste valeur.
Oui ! Freakyforms Deluxe est un MUST HAVE ! Il faut le diiiiire ! Pourtant, il a reçu à peine la moyenne, voire pas la moyenne du tout ; mon indignation vidéoludique fut totale. Un jeu où on peut faire pondre des œufs à un char soviétique mérite 10 000 clochettes sur 20, au moins !
(et on peut faire caca aussi ! Y’a même des DÉFIS CROTTE.)
(oui, ce jeu est une merveille.)
d) Ne plus jamais lire un test décrivant un jeu nul, mal équilibré, au scénario insipide, aux graphismes laids, à la jouabilité médiocre, conclure par : « Mais ça peut passer pour un enfant ». LES ENFANTS NE SONT PAS LES POUBELLES DE VOS JEUX POURRIS, non mais dites donc.
e) Plus de soin dans la rédaction des articles ; beaucoup trop encore sont mal écrits, généralistes, sans personnalité. J’aimerais aussi y trouver davantage d’anecdotes sur les jeux vidéo, de souvenirs de joueurs, tout ce qui traite de la création de lien entre les joueurs et leurs jeux.
f) Moi, payée très cher <3
Pensez-vous qu’il y a une différence de traitement entre joueuse et joueur ? Si c’est le cas, que devrait faire le monde du jeu vidéo (industrie, presse) afin d’améliorer les choses ?
Il y a une différence de traitement entre joueurs et joueuses, ça c’est certain. Je n’ai pas vu beaucoup de joueurs récolter des centaines, voire milliers d’euros en exhibant généreusement leurs pectoraux sur Twitch, et je n’ai pas vu non plus beaucoup de joueurs se voir réserver un espace « jeux vidéo » spécifique dans les magasins, rempli de jeux vidéo de mode, d’élevage de chiots ou de maquillage.
Le jeu vidéo n’est pas imperméable aux stéréotypes sexistes de la société, il est le reflet de son époque et reproduit, le plus souvent inconsciemment, des schémas et clichés à la con.
Néanmoins, je ne suis pas aussi catégorique à ce sujet que d’autres féministes ; je ne souhaite pas QUE des jeux politiquement corrects, respectueux des Droits de l’Homme et du Citoyen, certifiés antiracistes, antisexistes et non heurtant envers toute sensibilité par je sais quel label de sociologues autoproclamés. Je ne suis vraiment pas sûre que c’est en remplaçant les persos féminins ultra-sexualisés et les « boob plate armor » par des persos et armures plus « réalistes » qu’on fera avancer quoi que ce soit. Remplacer un stéréotype par un autre (celui de la « normalité », du « réalisme ») n’est jamais un progrès.
Le milieu du jeu vidéo ne peut peut-être pas changer le monde (on le sauve en mission, c’est déjà bien hein), mais contribuer à améliorer les choses, ça oui, avec des choses comme :
– davantage de diversité, tant dans le physique des personnages que dans leur histoire, leur rôle dans le jeu ; par exemple, les persos en fauteuil roulant « spa fassil à fer, un problém de poligaune » mais je suis sûre que vous pouvez y arriver ! Mais si.
– pousser tous les services marketing au suicide. Les obliger à démissionner à l’aide d’un Taser. Les fouetter au sang à chaque fois que l’un-e dira « pour filles », « pour garçons ». Je ne sais pas quoi, mais faites quelque chose. VITE.
– arrêter de nous prendre pour des idiotes monomaniaques intéressées uniquement par des jeux « girly ». Ce qui devrait être réalisable assez rapidement en appliquant le point précédent.
Dernière question, mais pas des moindres : si vous deviez désigner une femme emblématique du jeu vidéo (fictive ou réelle) ? En quoi vous inspire-t-elle ?
<3 DAME ARIBETH <3
(oui, encore Neverwinter Nights).
Son destin fait tristement écho à des problématiques humaines, politiques et sociales importantes, notamment : exercer son esprit critique, savoir distinguer la loi de la justice ; et « les ennemis de mes ennemis ne sont pas forcément mes amis. »
Dame Aribeth est forte, faible, loyale, traitre, bienveillante, dangereuse, pleine de certitudes, en proie au doute. C’est beaucoup pour une seule femme, sauf si on est le personnage principal de United States of Tara. Dame Aribeth est un personnage riche, bouleversant, là où on nous sert trop souvent des persos féminins lisses, ingénus ou transparents. D’ailleurs, une fois n’est pas coutume, son compagnon est un personnage bien plus insipide : crédule et naïf jusqu’à en mourir. Dame Aribeth est incontestablement un personnage bien plus fort, bien qu’elle finisse par se perdre aussi.
Je pense qu’involontairement, si je rejoue toujours obsessionnellement à ce jeu après tant d’années, c’est que je garde l’espoir, le rêve – ridicule mais beau, mais ridicule – de parvenir à la sauver.
Un espoir évidemment vain, pas seulement parce que ce jeu vidéo est déjà écrit et son destin scellé depuis belle lurette, mais parce qu’on ne peut pas sauver les gens d’eux-mêmes.
Propos recueillis par Ominae // février 2016
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