Test : Persona 5 Royal (PS4)
Quand il n’y en a plus, il y en a encore. Sauf que parfois, trop c’est trop. Persona 5 Royal oscille dangereusement entre les deux pour, finalement, asseoir sa place au panthéon des plus grands J-RPG.
La voici donc, notre dernière surprise ! Persona 5 revient sur PlayStation 4 avec tellement de nouveautés qu’on ne saurait les nommer. La plus importante, pour nous autres européens, est la traduction dans de multiples langues dont le français. Petite note : en tant qu’anglophone exacerbée, j’ai redécouvert pour la troisième fois l’aventure d’Atlus dans cette langue d’outre-manche, d’où les images rarement dans la nôtre. S’il vous plaît, comprenez. Soyez donc rassurés, l’intégralité du jeu est bien traduite de bout en bout, le premier pas vers une démocratisation d’une série qui mérite sa place aux côtés de Final Fantasy et Dragon Quest, malgré quelques ratés idéologiques.
Voler les étoiles du ciel pour les mettre dans tes yeux
Réussir à ce point à transformer un jeu déjà quasi-parfait en un davantage parfait est une prouesse qui me dépasse. Atlus a pour habitude de mettre à jour ses Persona depuis le troisième opus, moment où la série a quitté le style sombre Megami Tensei pour l’ambiance vie quotidienne manga sur fond de chants entraînants. Ceci dit, les fans n’ont jamais vraiment bien reçu ces mises à jour : le donjon supplémentaire de Persona 3 FES était ennuyeux et les altérations du gameplay rares. Persona 3 Portable a, en contrepartie, introduit l’excellente idée de jouer une fille, ce qui changeait l’intégralité des liens sociaux et le déroulement de certaines scènes… au profit d’une mise en scène statique et de l’absence partielle des voix. Pas de quoi rendre le tout foncièrement populaire.
Il s’agissait pourtant toujours d’un titre niche, et il faut attendre Persona 4 The Golden pour que le monde reconnaisse la série à sa juste valeur. Bien que l’addition de Marie soit décriée, les nouveaux événements saisonniers remplissent un calendrier originellement un peu vide, et l’ajout de pistes musicales une nouveauté très attendue. Cette version a été si populaire qu’elle a été, pendant longtemps, LE jeu à avoir quand on se procurait une Vita. Il s’agit également de ma première rencontre avec la série, une cartouche achetée en import à bas prix pour me tenir compagnie en gardant ma fille pendant ses siestes peu après sa naissance, en 2013.
Persona est, comme Animal Crossing, le genre de jeu qui se prête merveilleusement bien au format portable à cause de la répétitivité de son concept. On y vit le quotidien d’un étudiant japonais en temps non-réel, jour par jour, à choisir minutieusement ses activités bien terre à terre entre deux passages dans un donjon fantastique. Répéter à l’infini certaines actions d’une journée scolaire peut devenir redondant, une faiblesse qu’Atlus reconnaissait aisément et a réussi, en partie, à corriger avec Persona 5.
En jouant encore sur le fantasme de l’adolescent qui s’affranchit de sa famille pour une vie pleine de liberté, Persona 5 Royal s’offre un cadre dénué de tout contexte qui permet aux nouveaux joueurs de s’y retrouver facilement. Alors que notre héros vient juste d’arriver sur la capitale japonaise, une entité mystérieuse installe à son insu une application sur son téléphone. Elle la redirige malgré lui dans le Metaverse, un monde parallèle construit sur la cognition des gens… Plus simplement, les endroits, les choses et les êtres vivants y apparaissent de la manière dont on les imagine. Une maison pourrait y ressembler à un doux foyer, son chat un roi, et notre travail un purgatoire rempli de démons. En tant qu’êtres indépendants, aux existences physiques bien délimitées des autres (tout du moins jusqu’au Troisième Impact d’après Evangelion), nous possédons tous un Metaverse ou une version de nous cognitive qui nous est propre… et certains sont forcément plus tordus que d’autres.
Plutôt que de fuir cet univers fantastique, le héros décidera avec l’aide de compagnons de route d’utiliser cette découverte pour changer de l’intérieur la cognition d’autrui, de transformer les cœurs pervers de criminels pour les remettre sur le droit chemin. Il décide, avec ses amis, de monter la troupe des Voleurs Fantômes de Cœurs.
Ann n’est pas très Frank avec nous
L’histoire se veut ambitieuse et, aussi étrange que cela puisse paraître, les 60 h en ligne droite de l’original ne suffisaient pas à offrir un déroulement pleinement satisfaisant. Certains scénarios finissaient en cul-de-sac ou, au mieux, utilisaient de nombreux raccourcis pour atteindre ses fins. Même si ces problèmes n’empêchaient pas Persona 5 de finir un des meilleurs J-RPG de sa génération, Atlus a vu bon de remplir tous les petits trous qu’on remarquait parfois. On nous fait, par exemple, marcher manuellement jusqu’à la bicoque de l’artiste Madarame qui, avant, n’avait pas de lieu physique précis. La Voleuse Fantôme Haru fait également son entrée plus tôt en tant qu’élève concrète du lycée au lieu d’apparaître comme un cheveu sur la soupe. Des petits détails qui fluidifient une narration déjà robuste.
L’ajout de la ville de Kichijôji reste néanmoins le meilleur exemple de cette entreprise de remaniement intensif. Certaines scènes originellement confinés aux quartiers de base se voient désormais rangées là-bas pour plus de clarté, notamment les relations sociales avec l’inspecteur Akechi qui sont ici développées en profondeur. Pourtant, toutes les bonnes intentions du monde n’auraient pas pu altérer le discours discordant que tient Persona 5 sur le sexisme. Non, on ne fera pas référence aux fameuses scènes homophobes désormais retraduites en « simples » moments de pédophilie, on pense plutôt au premier arc qui dénonce lourdement le harcèlement sexuel avant de faire volte-face pour transformer le sujet en blague lourdingue. Le problème n’est pas de s’amuser de la difficulté qu’éprouve une adolescente à se déshabiller pour un artiste, d’être même forcée par ses amis (quoique…), mais plutôt que ce soit le thème principal d’une histoire placée dans la continuité de dénonciations sérieuses sur ce comportement. Il s’agit bien là du point noir du soft par excellence, cette incapacité à établir un discours cohérent sur de nombreux sujets modernes.
J’avais déjà remarqué l’absence frappante de plusieurs mois d’un coup lors de ma première partie sur la version japonaise en 2016. « C’est là qu’ils ajouteront du nouveau contenu dans l’indispensable mise à jour » avais-je annoncé à mon copain qui, ironiquement, s’en moquait royalement,« retiens mes mots ! » Il n’a rien retenu, c’est bien un homme. Pourtant, j’avais raison, et le fameux nouveau semestre de taille conséquente est gentiment placé là où les scénaristes nous avaient obligé à « faire profil-bas » pendant près ( surprise ! ) d’un quart d’année.
L’email des distributeurs Koch Media est formel : il est interdit de spoiler quoi que ce soit des événements situés après le 24 décembre… ou alors, de préciser qu’il s’agit d’un spoiler avec des petits crochets. Sauf que chez Gamingway, un peu comme tout le monde, on est trop gentils pour vous gâcher la surprise de la découverte de ce nouveau chapitre qu’on peut aisément qualifier d’exceptionnel. L’histoire, dont les graines sont plantées dès l’introduction, grandit doucement pour exploser en un moment d’un rare impact émotionnel. Mérite-t-il de revivre les cinquante heures qui le précèdent ? Très probablement. Ça dépend honnêtement de votre attachement à Persona 5. Une chose est sûre, pour la première fois dans une mise à jour de la série, tout refaire en vaut vraiment la chandelle.
La dernière surprise
Atlus s’est montré relativement généreux pour nous faire vivre de nouveau les aventures des Voleurs Fantômes. Les nouveaux mécanismes sont nombreux, à commencer bien évidemment par le grappin. Bien qu’on sente les développeurs un peu frileux de changer radicalement le design de leurs donjons, les portions où sont utilisées cet accessoire sont parmi les plus agréables de l’aventure. En plus d’apporter une certaine verticalité dans la progression et des mises en scène assez incroyables, certaines parties de labyrinthes, auparavant répétitives et lassantes, ont été transformées en cheminements aériens. Le nec plus ultra reste néanmoins quand les développeurs nous autorisent à sauter de grosses portions de niveaux auparavant bien lentes, une fluidification de progression plus que bienvenue !
Bien que c’est ici que se trouve la plus grande nouveauté, le jeu regorge de petits détails qui facilitent grandement la vie. Les interrogatoires pour recruter les démons sont désormais livrés avec des indices. Les munitions des armes à feu se régénèrent à chaque combat. Les combats sont plus équilibrés, les boss altérés. Les discussions avec les confidents sont plus longues et, surtout, plus logiques avec des échanges téléphoniques fréquents. Les idées fraîches pleuvent et transforment le titre en hit incroyable. Pourtant, le joueur lambda n’ayant qu’un vague souvenir de l’original ne s’apercevra pas forcément de ces remaniements, un détail qui pourrait faire ressembler une aventure parsemée de nouveautés à une rediffusion classique.
Persona 5 était un des meilleurs J-RPG de sa génération, Persona 5 Royal un des meilleurs titres jamais créé. Mérite-t-il votre attention si vous n’avez jamais touché à la série ? Définitivement. Faut-il sauter le pas si vous avez déjà consommé l’original ? Très probablement. On regrettera toujours néanmoins l’absence de cohérence dans son discours au point d’en être parfois gênant, mais c’est une goutte d’eau face à cet océan de bonheur.
Marine
Points forts :
- Artistiquement sans faille.
- Une bande-son encore meilleure qu’auparavant
- Une progression fluide et rapide
- L’histoire, captivante
- Varié, original, frais
- Le nouveau chapitre, les nouveaux personnages
Points faibles :
- Difficultés à maintenir une idéologie cohérente
- Très, très… très long.
La Note : 19/20
La Note : 19/20
Développeur / Éditeur : Atlus / Koch Media
Genre : J-RPG, dating sim, visual novel
Support : PlayStation 4 (testé)
Date de sortie : 31 mars 2020
Quelques précisions cependant : il y a bien des voix sur Persona 3 Portable, et la chanson « Reach Out to the Truth » était déjà présente dans la version d’origine de Persona 4 (c’est « Time to Make History » qui a été ajoutée sur Golden).
Pour P3P, c’est plutôt qu’il y en avait moins que dans l’original ? Je ne sais plus, je me rappelle que c’était très silencieux…
Par contre, le nouveau semestre est conséquence et très touchant. Ce n’est pas juste « un nouvel arc en plus avec un nouveau méchant » : les évènements sont introduits petit à petit dès le début du jeu pour finalement se lancer à toute vitesse et changer la fin. Je ne peux pas en dire plus ! Après, ça reste au total, avec les nouveaux confidents et activités, « seulement » 30 à 40h de jeu en plus…