Test : Shardlight (PC)
Entre deux sessions d’un rogue-like bien hardcore, j’aime détendre mes nerfs en pelote avec un petit point’n’click des familles et Wadjet Eye est généralement mon pourvoyeur de choix dans ces moments-là. Après le fabuleux Technobabylon (dont vous pouvez lire ici la critique, par le non moins excellent Cym0ril !), on retrouve le studio aux commandes de ce Shardlight, accompagné au développement par Grundislav Games. Miam.
Corbeaux, aristos et post-apo
Les jeux Wadjet se reconnaissent au premier coup d’œil : graphismes rétros, mais détaillés, univers de SF réaliste et un brin déprimant (à quelques exceptions près) et une interface minimaliste, signature d’Adventure Game Studio, le logiciel servant à la création de tous les jeux du studio. De plus, leurs scénarios sont toujours remarquablement bien écrits, ponctués de dialogues savoureux, tout en abordant des thématiques souvent peu traitées, comme la récession économique (A Golden Wake) ou la religion juive (The Shivah). Et Shardlight remplit toutes ces cases, pour mon plus grand bonheur.
Le monde de Shardlight n’est pas des plus accueillants : après une apocalypse nucléaire (pas de bol), les quelques survivants se retrouvent menacés d’extinction définitive par une épidémie de « peste verte » (green lung, en anglais) et le gouvernement, une bande d’aristos poudrés et perruqués comme au 18e siècle, ne semble pas enclin à distribuer le vaccin contre cette maladie autrement que par une loterie, aussi cruelle que truquée. Et comme si ce n’était pas suffisant, une rumeur prétend qu’une créature nommée la Faucheuse vient collecter les âmes de ceux qui trépassent de la maladie, grâce à des corbeaux aux yeux rouge sang. Il n’en fallait pas plus pour qu’une secte vienne faire son beurre sur cette légende urbaine, dont les adeptes attendent avec ferveur d’être un jour « choisis » par la Faucheuse, pour ainsi entamer leur voyage vers un au-delà plus paisible.
Survie & Loterie
C’est dans ce contexte pas super funky qu’on prend le contrôle d’Amy Weller, une jeune mécanicienne qui découvre qu’elle est atteinte par la peste verte et qui devra donc remplir un job pour le gouvernement contre un ticket de loterie. Cette mission, en apparence anodine, va l’amener à faire la rencontre de Tiberius, Ministre de l’Énergie et régent dément de la ville, ainsi que des Résistants cherchant à renverser le pouvoir et mettre fin à ce régime injuste une bonne fois pour toutes. Comme d’habitude avec Wadjet Eye, tout n’est pas aussi noir/blanc que ce résumé peut laisser entendre, chaque personnage étant traité avec nuance et ambiguïté, même lorsque ses motivations paraissent des plus altruistes ou désintéressées.
On retrouve ainsi la grande force des titres du studio, à savoir une finesse d’écriture des personnages, qui ne se résument jamais à des archétypes bêbêtes : point de super-héros ou de méchant au machiavélisme cartoon, les personnages de Shardlight sont des héros du quotidien, qui luttent avec leurs petits moyens contre une dictature qui ne dit pas son nom et sont aux prises avec des problématiques bien plus concrètes que le « sauvetage du monde » auquel on est généralement confronté. Untel cherche à fabriquer un masque à gaz pour sa fille, afin de la protéger des miasmes de peste verte, un autre fait de la résistance passive en refusant de donner ses provisions au gouvernement (malgré la promesse d’une récompense conséquente)… À noter aussi l’excellent doublage, autre signature du studio, qui confère vie et épaisseur aux personnages, malgré des portraits et des sprites un poil statique (un défaut récurrent pour Wadjet).
It’s the end of the world as we know it
C’est précisément quand le scénario s’éloigne de cette lutte à taille humaine et vire vers des enjeux de révolution populaire et de renversement de l’ordre établi qu’il trouve ses limites et affiche quelques tares. Déjà, l’univers dans lequel on évolue n’est pas très étendu, ce qui nuit grandement à l’impression de participer à quelque chose qui va bouleverser la vie d’un pays entier ; et le jeu se boucle en un peu moins de cinq heures, ce qui rend sa dernière partie, supposée épique, un brin mollassonne tout en arrivant beaucoup trop tôt. La tension commence à peine à monter qu’il faut déjà affronter « le boss de fin » sans que cela apporte satisfaction. Dommage.
Côté gameplay, le constat est malheureusement un peu le même : Shardlight ne casse pas des briques à un canard mutant et s’il propose des énigmes cohérentes, mais pas bien difficiles, il ne possède clairement pas l’audace ou l’inventivité de certains passages de Technobabylon. À deux-trois moments, on s’éloigne vaguement du sempiternel duo objets à combiner/dialogue à choix multiples, sans que cela ne se concrétise par des phases de jeu franchement originales. Cependant, l’absence d’énigmes bloquantes permet de mettre l’emphase sur le scénario, que l’on prend plaisir à suivre tout au long de la partie.
Avec Shardlight, Wadjet Eye nous propose donc un « petit » titre pour patienter avant sa prochaine production qui, je l’espère, sera plus ambitieuse dans ses mécaniques. Cela dit, Shardlight reste un titre solide, avec un univers original et un scénario bien écrit, principalement grâce à ses personnages et leurs doublages respectifs, tous parfaits. Mention spéciale à l’excellente B.O. (par Nathaniel Chambers, compositeur plus ou moins attitré du studio) qui plonge immédiatement le joueur dans l’univers post-apo du jeu.
Go-Ichi
Points forts :
– Le scénario bien mené.
– Les personnages, toujours aussi soignés et attachants.
– La B.O. et le doublage.
Points faibles :
– Un poil court (5-6 h).
– Pas très original dans ses mécaniques/énigmes.
LA NOTE : 14/20
LA NOTE : 14/20
Éditeur : Wadjet Eye Games
Développeur : Grundislav Games/Wadjet Eye Games
Genre : Point’n’click
Support : PC (Windows)
Date de sortie : 8 mars 2016