Test : Return of the Obra Dinn (PC)

Cinq ans après un Papers, Please encensé par la critique et les joueurs, Lucas Pope revient avec un projet original et semble bien parti pour mettre une nouvelle fois tout le monde d’accord.

À une époque où le jeu vidéo n’est plus une affaire de personne mais d’équipe, où les créateurs ne sont plus vraiment mis en avant, Lucas Pope fait vraiment office d’exception. Travaillant seul sur ses projets, maîtrisant tout de bout en bout, il s’offre un luxe rare, pouvoir sortir le jeu dont il rêve sans se soumettre aux contraintes de l’industrie.
Ce choix permet de créer des titres qui ne se conforment pas aux standards et aux gimmicks actuels, un vrai souffle de fraîcheur sur un média qui peine à sortir de ses propres clichés. Le plus beau dans cette histoire est que Lucas Pope ne propose pas uniquement des jeux originaux, il nous offre également une écriture et une qualité de gameplay que même les plus gros éditeurs peinent à obtenir (et encore, quand ils y parviennent).
En 2013, Papers, Please nous plongeait au cœur de l’enfer administratif douanier au travers d’un puzzle game nerveux qui s’offrait le luxe de nous faire réfléchir sur des questions politiques et humaines, une expérience inoubliable pour ceux qui s’y sont essayé. Return of the Obra Dinn part lui aussi d’une tâche purement administrative pour nous emmener loin, vraiment très loin.

 

Et une bouteille de rom

Le premier contact avec le jeu met immédiatement dans l’ambiance. Le titre, bien qu’en 3D, se présente comme un évadé des années 80 et s’habille d’une esthétique 1 bit absolument sublime. Tous les joueurs ayant connu leurs premiers émois vidéoludiques sur Macintosh auront du mal à contenir leur émotion lorsque l’écran titre apparaîtra. À noter qu’il est possible de modifier la colorimétrie pour rappeler le rendu d’autre moniteurs comme l’IBM 5151 ou le Commodore 1084 (les connaisseurs nostalgiques apprécieront).
Cette patte graphique rend évidemment l’expérience extrêmement originale, mais participe également à l’ambiance unique, créant une sorte de cohérence avec une époque ancienne de l’action mais aussi de l’environnement visuel. Et pour un jeu dont la narrativité passe aussi bien par le gameplay que par son game design, c’est loin d’être anodin.

 

Assureur militant

Vous aurez remarqué que je traîne volontairement avant de parler de l’histoire du jeu. La raison est simple, il est ardu d’en parler sans gâcher l’expérience de jeu de ceux qui souhaiteraient tenter l’aventure ; je me contenterai donc du pitch de départ. L’Obra Dinn, navire britannique, parti en 1803, disparaît mystérieusement en mer avant de réapparaître en 1807 près des côtes anglaises. Vous voilà dans la peau d’un agent d’assurance mandaté pour comprendre ce qui a pu se produire à bord. Pourquoi vous ? Peut-être parce que vous avez en votre possession une montre permettant de remonter dans les souvenirs des défunts et ainsi être en mesure de mener une enquête bien plus efficace que n’importe quel autre assureur (ouais, c’est la classe). Vous possédez également un carnet de notes symbolisant l’avancée dans l’enquête.
Armée de votre montre mystique et de votre matière grise, il va vous falloir remonter le cours des événements qui, vous pouvez me croire, vous retourneront la tête plus d’une fois.

 

Jamais les océans n’oublieront mon prénom

Pour résumer de façon simple, durant votre exploration du navire, dès que vous rencontrez un corps, vous pourrez visualiser le moment de sa mort et profiter de cet instant pour apprendre des choses sur lui et les autres protagonistes. Au fur et à mesure, l’idée est d’identifier tous les personnages et de déterminer quel a été leur destin (qu’il soit funeste ou pas). Là où le titre se révèle terriblement malin, c’est dans sa méthode de validation des hypothèses ; vous n’avancerez que lorsque le sort de trois personnes sera déterminé, vous maintenant toujours dans une espèce de flou quant à la progression de votre enquête.
Si les premiers sorts sont une formalité, le jeu devient de plus en plus exigeant, réclamant une attention extrême du moindre détail, mais aussi une vision globale de tout ce que vous avez à votre disposition. Une gymnastique mentale qui devient totalement naturelle au bout de quelques heures. On se prend ainsi à chercher frénétiquement le moindre détail, le petit truc qui nous a échappé dans une coursive ou un dialogue qui pourrait nous donner un indice important.

Passagers du vent

Évoquant parfois, par son ambiance, des jeux comme L’affaire Vera Cruz ou Maupiti Island, Return of the Obra Dinn n’en demeure pas moins un titre moderne qui a su diriger les codes du jeu vidéo pour en puiser le meilleur. La narration indissociable du gameplay nous rappelle que oui, il est possible de produire des mécaniques de jeu qui n’ont pas à suspendre l’histoire de côté pour être plaisantes. Si l’on pourra toujours regretter quelques soucis de clarté dus à cette direction artistique particulière et des termes qui peuvent parfois prêter à confusion, le jeu offre un voyage unique qui vous hantera de nombreuses heures après avoir lâché le clavier. En seulement deux titres, Lucas Pope démontre qu’il est un créateur qui compte, l’un de ces artisans qui marquera l’histoire du jeu vidéo, aux cotés des Frédérick Raynal, Eric Chahi ou encore Jonathan Blow.
Merci Monsieur Pope.

Ominae

Points forts :

  • La direction artistique sublime
  • Le gameplay intelligent
  • L’ambiance sonore
  • Le level design travaillé
  • Le sentiment de participer à une vraie enquête
  • L’histoire

Point faibles :

  • Tout un chapitre uniquement accessible aux plus acharnés
  • Quelques soucis de lisibilité
  • Une aventure one shot

La note : 19,9/20

Développeur : Lucas Pope
Éditeur :
3909
Genre :
Enquête, Puzzle, Réflexion
Support :
PC, Mac
Date de sortie :
18 octobre 2018

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