Test : Far Cry 5 (Xbox One)
Parmi les licences qui ont fait le succès d’Ubisoft, la série Far Cry a longtemps fait figure de vitrine technique mais a également été plébiscitée pour l’écriture de ses personnages. Voyons aujourd’hui où en est cette saga avec la sortie du cinquième épisode « canon. »
Ces dix dernières années, deux séries majeures Ubisoft ont réellement marqué le monde du jeu vidéo, Assassin’s Creed et Far Cry, en bien comme en mal.
En effet, si elles bénéficiaient toutes deux de grandes qualités et d’une identité forte, les deux licences ont également peiné à se renouveler ; la trop grande répétitivité du concept n’a eu de cesse de dégrader l’image des jeux mais également du studio.
Conscient du problème, Ubisoft a pris le temps de peaufiner Assassin’s Creed Origins, suivant les tendances actuelles et gommant une partie des défauts récurrents, offrant ainsi à la saga l’un de ses épisodes les plus réussis. Il était donc tout naturel que le public soit aux aguets concernant Far Cry 5, espérant le même genre d’évolution.
L’antre de la folie
Lorsque l’on parle de la série Far Cry, on pense en général au troisième épisode qui a su renouveler la licence avec brio. Le second proposait des apports très intéressantes (notamment la gestion des incendies) mais les lourdeurs de certaines de ses mécaniques lui ont valu bon nombre de critiques (ne l’empêchant pas de se vendre à des millions d’exemplaires). C’est bien Far Cry 3 qui a suscité le plus de retours positifs, que ce soit de la part de la presse ou des joueurs·es, en en faisant le référent de la série. Au delà de son game design très réussi, c’est bien l’écriture des PNJ qui a fait la plus grande part de son succès ; de l’antagoniste principal pour être plus précis. Aucun·e joueur·se ne peut avoir oublié cette première vidéo de l’E3 2011 et le speech hallucinant de Vaas, posant directement le ton qui serait celui de tous les épisodes suivants (Hors séries mis à part s’entend).
C’est donc sans surprise que Far Cry 5 commence lui aussi sur la présentation de l’illuminé de service incarné ici par Joseph Seed, leader d’une secte implantée au Montana. Un antagoniste qui semble avoir hérité des désirs de grandeur d’un Pagan Min échappé de Far Cry 4 et de la folie meurtrière d’un Vaas, un archétype intéressant mais au final peut être un poil plus « facile » que ses prédécesseurs.
Vous voici plongé·e dans la peau d’un·e bleu·e, venu interpeller Joseph avec un petit groupe de police. Une expédition qui tourne inévitablement au drame et vous laisse seul·e, perdu·e dans la forêt du Montana. Première nouveauté par rapport aux épisodes précédents, le choix d’incarner un personnage féminin ou masculin, offrant ainsi une plus grande immersion pour les joueurs·ses et renforçant également, de ce fait, le soin que met Ubisoft depuis quelques temps à satisfaire l’ensemble de son public.
Laché·e dans la pampa, il vous faudra reprendre la région des mains des hordes de fanatiques aux ordres de la famille Seed ; reprenant plus ou moins le même système que dans les autres titres de la saga.
Libérée, délivrée
L’habitué·e des Far Cry sera ici en territoire connu, le but restant peu ou prou identique à celui de ses prédécesseurs. Un grand monde ouvert qu’il faudra parcourir pour le libérer et le rendre à ses autochtones avant d’aller mettre une fessée au grand méchant à la santé mentale défaillante. Si la formule semble être la même il y a cependant quelques différences notables. En tout premier lieu, présenté comme une blague en début d’histoire, le jeu vous expliquera que les tours radio ne sont plus qu’un lointain souvenir et qu’il n’est plus nécessaire de jouer les alpinistes pour dévoiler de nouvelles zones de la carte. Cette mécanique est remplacée (de façon assez peu subtile) par la découverte de cartes dans les avant-postes, une idée plus cohérente mais qui reprend au final le même principe de progression.
Une autre grande différence vient de l’intégration de la coopération dans l’histoire, laissant la possibilité aux joueur·se·s de se faire accompagner par un·e ami·e tout au long de l’aventure. Même si cette feature ne permet pas à la personne qui rejoint la partie de jouer son profil de personnage, tout le plaisir est là. Ce concept d’une aventure en coop est d’ailleurs adapté au jeu en solo grâce à un système d’acolytes qui pourront vous épauler durant votre périple. Ces PNJ peuvent être soit générés aléatoirement par le jeu et rencontrés un peu partout sur la carte ou être recrutés lors de quêtes spéciales. La grosse différence entre les deux types de partenaires est que leurs compétences (car ils ont des compétences) sont prédéfinies si il s’agit des PNJ croisés au détour d’une quête prévue à cet effet et aléatoire lorsque ce sont des mercenaires se promenant dans la pampa. Il est naturellement plus intéressant de s’adjoindre les services des acolytes prévus par le scénario, certains étant réellement (trop) puissants.
Le dernier point important concernant la modification du gameplay classique vient du système de progression de l’histoire qui fonctionne par points et par niveaux. En gros, il vous faudra remplir une jauge de « résistance » avant de pouvoir accéder au boss de la zone, empêchant les joueur·se·s de rusher vers la fin et ainsi étirer mécaniquement la durée de vie. Une façon aussi d’inciter à la découverte et l’exploration des différents territoires occupés.
Léa Passion Grinding
Obliger le·la joueur·se à faire monter cette jauge de résistance peut sembler être une idée intéressante sur le papier mais dans les faits cela devient rapidement pénible. La carte de jeu se divise en trois grande zones, chacune dirigée par un membre de la famille Seed (Jacob, John et Faith) qu’il faudra éliminer avant d’affronter Joseph. Si le fait d’enchaîner les missions ou coups d’éclat semble amusant durant les premières heures de jeu, une fois le premier boss éliminé, on finit rapidement par ne s’attaquer qu’aux avant-postes (la meilleure source de points), ignorant le reste des objectifs. Pour bien saisir la pénibilité de la chose il faut savoir que pour affronter l’un des membres de la famille il vous faudra grinder au moins 10000 points de résistance en sachant que les plus grosses missions vous en donnent quelques centaines seulement. Autant vous dire qu’il va vous falloir abattre l’équivalent de la population Suisse avant d’espérer casser les dents du père Seed.
Cette mécanique permet effectivement de profiter de ce monde ouvert luxuriant et plutôt immersif même si on sent néanmoins la volonté des développeur·se·s d’étendre artificiellement la durée de vie de leur jeu, une technique qui ne plaira clairement pas à tout le monde. Là où ce choix discutable est intéressant c’est dans sa substitution au système classique de progression par l’expérience de l’avatar. Si la résistance fait avancer le scénario, vos nouvelles aptitudes, quant à elles, ne sont pas conditionnées au même type d’évolution. Pour gagner des points d’expérience à répartir dans diverses compétences, il vous faudra remplir certaines conditions comme tuer x ennemis avec une arme en particulier ou chasser x animaux. Un game system qui incite lui aussi au grinding mais d’une façon beaucoup plus agréable et diluée dans l’aventure ; également moins pénible car toutes les compétences ne sont pas réellement déterminantes dans l’avancée du personnage.
Âme armée
Devant la tâche qui vous attend, il est bien entendu évident que vous ne partez pas les mains dans les poches. Comme dans tout bon FPS qui se respecte vous emportez un certains nombre d’armes plus ou moins lourdes pour nettoyer la région de sa population mais également de sa faune, ne cherchez plus le célèbre loup du Montana, j’ai éradiqué l’espèce durant mon périple. La seule contrainte que vous avez est liée à vos compétences de port d’armes limitant le nombre et le type d’équipement que vous êtes autorisés à trimballer. Une contrainte qui n’en n’est pas réellement une car il vous suffit d’une arme silencieuse et d’une sulfateuse pour atteindre la fin du jeu sans le moindre mal (ou presque). Globalement on retrouve les classiques, arcs, fusils de snipe, mitrailleuses lourdes/légères, pistolets, matériel lourd (lance-roquettes, lance flamme), explosifs et armes de corps à corps diverses ; l’éventail semble cependant moins important que dans Far Cry 3. Les sensations armes en main sont toujours aussi agréable, la balistique plutôt réussie pour les coup-à-coups et les semi-automatiques mais moins convaincantes avec les automatiques (la trop grande légèreté des impacts des rafales reste un des petits défauts inhérent à la licence). Au niveau des compétences le sentiment de progression est plutôt mitigé, si certaines paraissent indispensables (encore que), la plupart d’entre elles sont relativement anecdotiques. Permettre à un compagnon de revenir plus vite en jeu après un décès ne présente, par exemple, aucun intérêt. Sur la cinquantaine de compétences proposées, seules quatre ou cinq vous seront utiles et c’est assez dommageable car il deviendra rapidement évident que la course aux points d’expérience ne présente que très peu d’intérêt. Il n’est d’ailleurs pas rare de se rendre compte que l’on a cumulé un stock de points sans y penser.
Au final ce sont surtout les compétences de vos compagnons qui vous seront le plus utile et vous aurez vite fait de repérer quels sont les incontournables et d’oublier les autres. Ce principe d’acolyte est plutôt bienvenu et ajoute réellement quelque chose au gameplay, le sentiment de ne plus être aussi seul que dans les épisodes précédents. Leur aide pourra aussi être précieuse lors de missions très spécifiques demandant des armes ou de l’équipement particulier.
Harcèlement de route
L’une des autres évolutions de cet opus est directement liée à son système de progression dans l’histoire ; pour engranger « facilement » des points il faut beaucoup d’objectifs et d’ennemis à dézinguer alors la carte en est truffée. Si dans les faits, parcourir une carte grouillant littéralement d’adversaires est un moyen efficace de garder le·la joueur·se sous pression, cela entraîne également quelques désagréments qui peuvent rapidement nuire au plaisir de jeu. Les jeux précédents étaient eux aussi fort peuplés mais c’était sans commune mesure avec ce que vous allez rencontrer ici.
Pour vous donner une idée du soucis, je vais l’illustrer d’un exemple :
Je pars en mission avec Jean-michel lance-roquettes afin d’aller éliminer un convoi blindé, découvrant assez vite que l’attaque frontale est une assez mauvaise idée lorsque l’on se bat à l’arc, me voilà ressuscité un peu plus loin sur la route. Le temps de lire un sexto, mon héros intrépide décède une nouvelle fois sous les roues d’un camion ; petit rire jaune, ça fera une anecdote amusante à raconter sur Twitter. Nouvelle résurrection et là, avant d’avoir le temps d’ouvrir la carte me voilà mitraillé par un avion et c’est encore une fois le décès, un poil moins drôle du coup. Bien entendu l’histoire n’aurait été complète si ma réapparition suivante n’avait pas été accueillie par une patrouille armée me laissant agoniser sur le bitume. Rage quit. End of story.
Comme vous pouvez vous en douter, en tant que quasi-professionnel je me suis remis en selle afin de vous gratifier d’une critique une fois mes petits poings vengeurs desserrés et mes larmes de rage essuyées.
Alors on est loin d’une séquence de corpse camping¹ sur un MMORPG mais ce type de séquence est clairement l’ennemi du fun, un vrai repoussoir pour qui serait un peu trop nerveux·se.
C’est beau mais c’est loin
Il y a bien un domaine dans lequel le titre est inattaquable, c’est dans sa plastique quasi parfaite. Sans être la claque visuelle d’un Far Cry 3 en son temps, le jeu offre vraiment quelques moments de grâce et, si l’on oublie les autochtones agressifs, il peut tout à fait représenter une belle campagne de promotion pour les forêts du Montana. On prend un plaisir immense à personnaliser son redneck et l’affubler d’une chemise à carreau du plus bel effet ainsi que du mulet, touche de mode indispensable pour emballer bûcherons et bûcheronnes. L’ajout du mode « arcade » offre lui aussi un nouveau terrain de création et de jeu en permettant l’édition de cartes pour des parties d’affrontements multijoueur·se·s ; d’autant plus intéressant qu’il propose des assets venant des épisodes antérieurs, une vraie bonne idée.
Ce qui plombe un peu le jeu c’est cette absence de volonté de rupture que la plupart des fans attendaient, à l’image de ces bidons de gaz hallucinogène qui nous replonge à nouveau dans des délires oniriques, rappels incessants aux deux Far Cry précédents. Nous sommes un peu face à l’antithèse de Assassin’s Creed Origins sorti juste quelques mois avant ; là où ce dernier corrigeait la majeure partie des défauts de la série, Far Cry 5 semble les accentuer. La surpression des tours d’observation, gimmick de l’éditeur, largement moqué par les internets était l’arbre qui cachaît la forêt. Au final c’est surtout la répétitivité extrême du jeu qui nous pète à la gueule, l’attaque en chaîne d’avant-postes jusqu’à l’écœurement pour atteindre plus vite un boss de fin de zone, affronté dans un combat tout à fait oubliable. Ajouté à cela une intelligence artificielle dont les défauts transparaissent également à cause de la profusion de PNJ, adoptant des comportement au mieux ridicules et au pire extrêmement problématiques. Le taureau enragé qui vient dégommer la jeep de votre contact de mission fera une belle vidéo sur Youtube mais vous obligera néanmoins à recharger la zone afin d’avancer dans l’histoire. Il n’est d’ailleurs pas étonnant qu’il soit le bon client du moment pour les Streameur·euse·s.
C’est peut être en ça que Far Cry 5 est aussi très attachant au final, le jeu vous fera à peu près autant rire que râler, il vous donne toujours cette envie d’y revenir, il est ce pote un peu gênant avec ses blagues nulles qu’on aime bien avoir dans le groupe quand même.
Ominae
¹Technique consistant à rester à coté du cadavre de son adversaire en attendant sa résurrection pour le tuer à nouveau
Points forts :
- Visuellement magnifique
- Le Montana et ses forêts
- Un monde ouvert qui incite à l’aventure
- La coopération bien intégrée au gameplay
- Le plaisir d’y revenir
- Les nombreux véhicules
- Le mode arcade
- Cheeseburger l’ours
Point faibles :
- Trop d’ennemis partout, tout le temps.
- Le grind digne d’un MMO Coréen
- L’I.A. bien trop souvent aux fraises
- Une multitude de bugs, pas toujours rigolos
La note : 16/20
La note : 16/20
Développeur : Ubisoft Montréal / Toronto / Kiev / Reflections
Éditeur : Ubisoft
Genre : FPS
Support : PS4, Xbox One, PC
Date de sortie : 27 mars 2018