Livre : No Pasáran, Endgame

Le dernier opus de la trilogie de Christian Lehmann érecte les jeux vidéo comme prétexte pour faire pénétrer la jeunesse adolescente au sein des horreurs de la Shoah, une forme maîtrisée pour un fond qui l’est, hélas, parfois moins.

« Sois gentille, Marine. » me soufflent mes collègues, alors que je poste un résumé un chouïa trop cynique de mes impressions de « No Pasáran, Endgame » sur Twitter, à chaud, la dernière page tournée. « Contrôle tes émotions. » Comment diable puis-je rester sobre face à un ouvrage à la prose, certes happante, qui exhibe un sexisme particulièrement malaisant quand on s’y attend le moins ? Sexualisant un viol pédophile sans cligner des yeux, après lequel j’ai dû mettre de côté le livre plusieurs jours. « Malaisant » que je déteste ce mot ! Pourtant, le vocabulaire existant est parfois trop limité pour exprimer ce qu’on ressent, rendant certains néologismes étonnamment attractifs.

No excusán

« No Pasáran, Endgame » est le dernier volume d’une trilogie narrant l’histoire de trois amis qui, en 1996, se retrouvent avec une disquette trois pouces aux capacités spéciales. Prétexte scénaristique pour attirer les jeunes lecteurs à se plonger dans un ouvrage historique, l’objet se révèle être un artefact envoyant quiconque l’utilise au temps des grandes guerres.
Ce troisième chapitre très politique montre le parallèle entre la montée de l’extrême-droite dans notre société contemporaine et le régime de Vichy. En lieu et place d’une narration épique des grands événements de l’époque, « No Pasáran, Endgame » se place dans un cadre beaucoup plus intime, particulièrement touchant, mais hélas, bien trop moralisateur.

Notre loisir préféré est ici lynché comme on en a trop l’habitude. Se passant trois ans après le premier volume, soit aux alentours de l’an 2000, la population utilise des iPhone sur lesquelles tournent Angry Birds avant de discuter, au coin d’une page, de la popularité « des jeux en téléchargement ». L’anachronisme est certain, l’absence de vocabulaire spécifique au domaine fréquente. Des titres violents mais populaires sont cités aléatoirement comme pour garder un lectorat qui pourrait quitter la partie avant l’heure, avant de nous révéler la manière dont ils font de nous des machines à tuer. Cette « théorie », comme elle est appelée, n’est à aucun moment contredite ou réfléchie, il faut l’accepter telle quelle : Call of Duty et Battlefield nous enseignent à tirer sur la gâchette sans réfléchir, émoussent même cette humanité nous empêchant d’éliminer sans sourciller notre prochain en cas de conflit. Ils nous font voir la guerre comme un jeu.

 

No sexisám

Ce « nous » dont Christian Lehmann parle est composé à 80% d’hommes aux regards malencontreusement lubriques dans ce livre. La mère d’une connaissance, l’amante d’un ami… La femme y est vue à travers le prisme si typique du mâle. Un sein apparaît et ce dernier retombe amoureux, faisant fit de la personnalité accompagnant le reste du corps. La beauté est désir, la beauté est intérêt, la beauté est tout pour ces êtres obsédés par leurs potentielles conquêtes. Et parfois, la femme se doit d’être dominée.

Dominée par la religion musulmane tout d’abord, où Anissa souhaite s’affranchir à tout prix du voile et autres pratiques que lui impose son cousin extrémiste. Ce tissu, censé aider les hommes à contrôler leur désir, ne devraient-ils pas eux-mêmes le porter ? Croient-ils les femmes asexuelles et asexuées ? Ne peut-elle tout simplement pas s’intégrer enfin, complètement, dans notre société occidentale ? Tant de questions qui auraient pu être pertinentes si soulevées par la plume d’une femme musulmane. De la bouche d’un homme blanc sexagénaire, nous sommes plutôt face à un fantasme néo-colonialiste contre lequel les concernées se battent de manière virulente sur internet et dans la rue, des clichés qu’elles dénoncent périodiquement à ceux prêtant l’oreille.

Dominée aussi par le sexe, le viol pédophile, dont on se souvient au petit matin la lumière du rideau courant sur ses seins nus, se demandant si notre homme viril voudra malgré tout encore de nous. Ce viol qu’on a, il fut un temps, souhaité et dont on guérira les souvenirs en s’emboîtant avec sa moitié. Personne. Jamais. Les victimes pleurent, enragent, fulminent. Concernant ce sujet, je préfère m’arrêter ici.

 

No pasarán

L’écriture est pourtant efficace. Malgré ses 630 pages, l’ouvrage se lit vite et la trame assez simple captive. Les horreurs de la Shoah résonnent toujours au travers notre anti-sémitisme contemporain. En dépeignant un parti politique copie-conforme du Front National, du changement de nom à la nouvelle figure féminine plus jeune, Christian Lehmann nous éduque sur les dangers de la haine déraisonnée d’autrui, nous montrant de manière ludique et pertinente que rien n’a changé en plus d’un demi-siècle.

Et le jeu vidéo dans tout ça. L’auteur continue ses parallèles avec la réalité via des descriptions sanglantes de personnes grotesquement abattues. Ces scènes visent à choquer et ça marche : faisant directement appel à notre imagination, l’écriture et la lecture sont en effet des outils bien plus puissants que n’importe quel monde virtuel. Une partie de Donjons et Dragons sera toujours plus immersive qu’un « MeuPorg », une mort violente de roman bien plus frappante qu’un headshot de Counter-Strike. Lehmann le sait. Ces images frappantes, gratuites, s’enchaînent. « Voilà ce qu’il en est ! » semble-t-il crier à travers ses personnages. « Voilà les conséquences de la mort ! » tout en exprimant une méconnaissance ahurissante du milieu vidéoludique. Avec, comme révélation finale, qu’il reste tout de même un espoir pour les millenials.

Marine

 

Fiche Technique :

Auteur : Christian Lehmann
Album : 633 pages
Tranche d’âge : Adolescents, jeunes adultes
Éditeur : Médium +
Date de sortie : juin 2019
Prix conseillé : 10,80 €

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