Interview : Pix’elle, pix’artist
Que ce soit via Internet, les conventions et autres expositions, vous avez certainement découvert des passionnés réalisant des œuvres en hommage au jeu vidéo, avec divers matériaux : papier, canettes, bouchons… Mais c’est encore d’un autre dont je vais vous parler grâce à mon entretien avec Justine, alias Pix’elle, une artiste qui n’est pas venue pour enfiler des perles… quoi que…
Gamingway : Salut Justine ! Débutons avec une présentation de toi-même et donc par la question que tout le monde se pose : c’est quoi une pix’artiste ?
Pix’elle : Salut Inod ! De mon point de vue une pix’artiste (ou un, ça marche aussi) c’est avant tout une personne passionnée de pixels. Le pixel sous toutes ses formes j’entends, des plus moches façon Pong aux plus jolis, façon Assassin’s Creed 3 ou Destiny. Je me suis rendue compte que j’aimais tellement ça qu’il fallait que j’exprime cette passion, que je la partage, d’une façon ou d’une autre. Ce qui fait qu’aujourd’hui je travaille les pixels à travers mes créations, sur toile la plupart du temps. Finalement, un pix’artiste c’est un amoureux transi du pixel, et pour s’exprimer, il utilise des perles à repasser plutôt que des mots. Mais sinon techniquement et dans le détail c’est une personne lambda…
Gamingway : Quand et comment t’es venue l’envie de te lancer dans cet art du pixel ?
L’idée m’est venue totalement par hasard en vérité, il y a un peu plus d’un an maintenant. Au cours d’une balade que je faisais sur le Net, je suis tombée sur des créations en papercraft, une Zelda à l’échelle notamment, que j’ai trouvé hallucinantes ! Je me suis dit que ça pouvait être sympa comme loisir, puisque j’avais envie de me lancer dans un loisir créatif. Du coup je me suis renseignée sur Internet sur la façon de procéder, et je me suis vite aperçue que devoir plier et coller très minutieusement des tout petits morceaux de papier ensemble mettrait mes nerfs et ma patience à bien trop rude épreuve…
J’ai continué à farfouiller quand même et j’ai déniché des blogs de personnes travaillant les perles à repasser. Les pièces ne semblaient ni trop grandes ni trop petites, le matériel semblait facile à trouver et plutôt bon marché, et en réfléchissant 5 minutes j’ai compris que les sources d’inspiration pouvaient être infinies et collaient parfaitement avec ma passion du jeu vidéo. J’ai acheté mes premiers sachets de perle, et c’est comme ça que j’ai fait ma première (toute petite) création. C’était un des fantômes de Pac-Man je crois…
Et puis un peu plus tard, mon frère qui est fan de Street Fighter II a formulé le souhait que je lui fasse une Chun-Li. Va savoir pourquoi, moi quand je pense à Street Fighter II il me vient de suite à l’esprit le niveau bonus avec le tas de briques à démolir ! J’ai alors pensé que ma création serait peut-être moins tristounette avec un fond pour lui donner vie en quelque sorte. C’est comme ça que m’est venue l’idée des toiles. Je n’avais pas encore beaucoup vu ce genre de créations lors de mes recherches, alors ça pouvait aussi être un moyen de me démarquer.
Gamingway : De quelle manière, du départ de l’idée jusqu’au terme de sa conception, se déroule le travail de tes créations ?
Les idées me viennent au petit bonheur la chance en général. Je peux être prise d’une fulgurance en regardant la télé, en surfant sur le Net, en jouant à un jeu vidéo ou même en plein milieu de la nuit sans aucune raison apparente. Avant de travailler sur des toiles, j’avais seulement l’objet en perle qui me venait en tête, et je pouvais considérer ou non que c’était une bonne idée. Maintenant que je travaille presque uniquement sur toile, quand une idée de personnage me vient mais que je n’ai pas immédiatement l’image du fond qui s’y incruste, c’est que l’idée n’est pas aboutie selon moi. Du coup je la laisse dans un coin de mon esprit, et en général, un jour ou l’autre elle finit par revenir, avec une toile de fond cette fois. Là je peux m’y attarder. Je mets un point d’honneur à ne jamais imaginer un personnage de perles et seulement après le décor ou l’inverse. Le tout manquerait de cohérence selon moi, je tiens vraiment à ce que les deux me viennent à l’esprit en même temps.
Je commence toujours par créer mon personnage de toute façon. Soit je m’inspire d’un modèle déjà existant et déjà créé que je trouve sur le Net et que je retravaille au niveau de la forme ou des couleurs, soit je trouve une image qui peut convenir et que je pixelise via PhotoFiltre. Je crée mon personnage sur les plaques prévues à cet effet, puis je repasse. J’ai une petite spécificité c’est que je repasse ma création sur les 2 côtés, histoire de bien consolider l’ensemble. (Je crois que je n’aurais jamais autant repasser de ma vie que depuis que je me suis mise au pixel’art… ). Pour la toile, soit je fais un croquis vite fait sur feuille blanche quand l’idée est 100% de moi, soit je prends appui sur des images de jeux ou d’animés que j’ai encore en tête. Ensuite je travaille sur Open Office les éléments dont j’ai besoin, que ce soit texte ou images, j’adapte leur taille à la toile que je compte utiliser, puis j’imprime. Si besoin je peins un fond, voire quelques petits éléments utiles sur ma toile (nuages, brins d’herbe… ) puis je colle le reste des éléments.
Le temps de conception d’une création est très variable… Ca peut aller de 2/3 heures à plusieurs jours selon le modèle que je réalise, sa taille, sa difficulté, et ma motivation même parfois.
Gamingway : Quels matériaux utilises-tu et songes-tu en employer d’autres dans un avenir plus ou moins proche ? Peut-être même évoluer vers quelque chose de totalement différent pour davantage de variété ?
La base de mon travail ce sont les perles. J’utilise surtout des hama, qui sont les plus répandues, mais il en existe d’autres gammes qui me servent aussi de temps en temps. On peut en trouver de 3 tailles différentes je crois, moi j’utilise celles de taille moyenne. Pour la peinture j’utilise de la gouache en bouteille prête à l’emploi, j’ai une petite variété de couleurs qui me permet de faire des mélanges et d’obtenir une palette plus large et de m’approcher le plus possible du résultat que j’attends. Et pour la fixation j’utilise du vernis colle et de la colle extra forte.
Par la suite j’aimerais peut-être évoluer vers des créations avec encore plus de reliefs. J’envisage l’utilisation de petits accessoires supplémentaires comme des paillettes ou des petits éléments de décoration qu’on utilise dans le scrapbooking, mais pour l’instant je me concentre sur mes toiles « basiques » que j’aimerais perfectionner. Tant que je ne considérerais pas mon travail comme étant parfait, je ne passerais pas à l’étape suivante.
Gamingway : Pour le moment tes créations sont juste pour un plaisir personnel et également visibles sur le Net via ta page Facebook ou réponds-tu également à des commandes ?
Pour le moment ce n’est qu’un plaisir solitaire j’ai envie de dire. Même si je partage mes créations via ma page Facebook, je ne réponds pour l’instant à aucune commande, je me contente de mettre en œuvre mes propres idées qui sont déjà très nombreuses. Mais ça n’empêche pas les gens de me souffler des idées dans le creux de l’oreille que je garde bien précieusement sous le coude, parce que souvent ce sont de bonnes idées en plus…
Gamingway : Mais si l’on te passe une commande un jour, faut-il absolument qu’il s’agisse d’un jeu vidéo, d’un animé, d’une bande-dessinée… ? Ou peut-on te demander un animal, un paysage ou encore un portrait de ma rédactrice en chef ?
Ma source d’inspiration principale aujourd’hui c’est le jeu vidéo, parce que c’est ce que j’aime, ce qui m’inspire, et ce que je pense connaître le mieux. Maintenant j’aime aussi travailler les animés, les manga ou la bande-dessinée parce que ça reste virtuel. Je ne suis pas contre l’idée de recréer un visage ou un paysage, mais ça serait bien trop compliqué pour moi. Il n’est pas toujours évident d’obtenir un résultat probant avec un personnage de jeu vidéo, qui est pourtant fait de pixels à la base, alors avec un visage je préfère ne pas imaginer…
C’est sûrement réalisable, mais difficilement à mon niveau. Ceci dit, j’envisage de m’attaquer au cinéma à plus ou moins long terme, alors on verra à ce moment là.
Et concernant le portrait de ta rédactrice en chef, je préfère ne pas m’y atteler du coup, j’aurais bien trop peur de la froisser avec ce que je risque de faire d’elle…
Gamingway : Comptes-tu approfondir cet éventuel futur côté commandes par des tiers, en proposant tes créations en conventions, en les exposant… ? Dans des lieux assez intimistes par exemple, n’évoquons pas les grosses machines demandant de fortes sommes aux amateurs, pour les coller à côtés des toilettes.
A terme, c’est vraiment le but pour lequel j’ai créé la page Pix’elle. J’aimerais non plus seulement faire mes propres créations mais aussi me soumettre au désir des gens. Le problème c’est que je manque de pratique, de technique, de variété dans mes modèles, et de confiance aussi. Je ne suis pas encore assez calée pour pouvoir dire aux gens « Allez, c’est bon, vous me donnez une idée, je vous la réalise dans l’heure ! ». Je voudrais me faire la main encore un moment avant de pouvoir faire ça. Mes créations manquent encore beaucoup de rigueur et de finesse. Mais j’en ai conscience, je ne pourrai donc que progresser !
J’aimerais aussi m’atteler à des œuvres plus conséquentes, plus grandes, plus impressionnantes même. Mon but ultime serait de réaliser un Link grandeur nature, mais je sais que j’ai encore bien du chemin à parcourir pour en arriver là. Mais je sens que depuis que j’ai commencé j’ai gagné en patience et en positivité, même si je reste assez perfectionniste et exigeante envers moi-même, mais je reste persuadée que ça ne pourra aller qu’en s’améliorant.
Maintenant, exposer dans des conventions, pourquoi pas ? Ca fait partie intégrante de mon envie d’échanger concernant ma passion. Ca non plus ce ne sera pas pour tout de suite je pense, mais mon plus grand bonheur serait que les gens viennent me voir en me disant qu’ils adorent ce que je fais, voire que ça leur rappelle une certaine période de leur vie, tout comme le jeu vidéo me renvoie à mon enfance.
Gamingway : Récemment on a pu découvrir l’une de tes créations dans le numéro 0 de la B.D. de L’Intrépide, le personnage créé par Marcus. Je te laisse nous expliquer un peu tout ce cheminement.
Marcus est quelqu’un pour qui j’ai beaucoup de respect et d’admiration et que je suis depuis un petit moment maintenant. Le hasard faisant bien les choses, L’Intrépide est revenu sur le devant de la scène au moment où je commençais à me mettre aux toiles. Les hommages à L’Intrépide affluaient de partout, et le modèle n’étant pas très complexe, je me suis dit que ça pourrait être une bonne idée de toile, quasi inédite (quasi inédite parce que quelqu’un a eu l’idée avant moi de créer un Intrépide en perles à repasser). Non seulement je pouvais avoir l’occasion de faire plaisir au papa de L’Intrépide, mais en plus je gagnais un peu d’expérience avec une création de plus à mon compteur. J’ai alors imaginé une couverture possible pour une éventuelle BD de L’Intrépide.
Sachant que Marcus est fan des Watchmen, j’ai pris pour décor de fond une de leurs couvertures, je me suis inspiré de la typographie de cette même couverture pour le texte, pour L’Intrépide j’ai pris l’original pour modèle (celui que Marcus a dessiné en 1977), et l’ensemble a donné le résultat qu’on peut voir sur ma page Facebook.
Je l’ai offert à Marcus à la Paris Games Week 2013, et je ne m’attendais vraiment pas à ce que ma toile lui plaise assez pour qu’il la case entre d’autres hommages dans le numéro 0 de sa BD ! Cette toile est vraiment l’une de celles dont je suis la plus fière. Pas seulement parce qu’elle concerne Marcus, mais aussi parce que je pense sincèrement que c’est l’une de celles que j’ai le mieux réussi. La plupart de mes créations a toujours un défaut, une trace de vernis colle, des raccords mal faits… mais celle-ci est quasi parfaite.
Gamingway : As-tu de nouvelles œuvres prêtes à sortir, en cours ou bien encore à l’esprit ?
Des idées j’en ai plein, vraiment ! Encore faut-il qu’elles soient réalisables, mais l’inspiration ne manque ça c’est une certitude !
La prochaine toile à venir sera probablement axée sur Bomberman, encore une saga qui a marqué mon enfance. Et pour la suite je réfléchis à des licences plus récentes, des coups de cœur notamment, histoire de prouver que le retro gaming n’a pas le monopole du pixel’art.
Gamingway : Merci Justine pour cette entrevue. Désires-tu ajouter quelque chose à propos de Pix’elle et/ou un message pour les lectrices et lecteurs de Gamingway ?
Pix’elle est née avant tout parce que je débordais d’amour pour les jeux vidéo et que j’avais envie de m’exprimer et de partager ça avec un maximum de personnes. Je n’ai pourtant aucun don particulier, je dessine super mal, je chante comme une baignoire, la danse on n’en parle pas… Mais j’ai réussi à trouver le moyen de travailler une matière que j’aime et qui me tient à cœur, je suis même parvenue à toucher des gens on dirait.
Alors si vous vous passionnez pour quelque chose, quoi que ce soit, et même si vous avez l’impression d’être seul avec vous-même dans votre salon (ce qui a longtemps été mon cas), votre cave ou même votre placard à balais, n’hésitez pas à en parler autour de vous, l’écho finira bien par toucher quelqu’un qui se sentira concerné et qui voudra avancer avec vous.
Sinon, mangez des cookies Granola ! Non, ça n’a rien à voir, mais c’est bon ! Et restez fidèles à Gamingway, il y a des gens sympas dans leur équipe !
Interview réalisée par Inod – septembre 2014 (par e-mail)