Interview : Fleur Marty, productrice exécutive du jeu Les Mystérieuses Cités d’Or : Mondes Secrets
Nous nous sommes penchés il y a peu sur le jeu Les Mystérieuses Cités d’Or : Mondes Secrets (notre critique à lire ici), édité par Ynnis Interactive et développé par Neko Entertainment. Nous souhaitions aller plus loin et découvrir l’aventure de sa création. Pour ce faire, nous avons interviewé sa productrice exécutive Fleur Marty.
Gamingway : Bonjour Fleur, durant cette interview nous allons principalement parler du jeu Les Mystérieuses Cités d’Or : Mondes Secrets, dont tu es la productrice exécutive. Peux-tu nous expliquer quel a été, concrètement, ton travail sur celui-ci ? Ce que tu as fait en amont, pendant son développement, ainsi que maintenant, alors que le jeu est déjà sorti sur plusieurs machines, mais pas encore sur toutes celles prévues.
Bonjour à toi et à tous les lecteurs de Gamingway. Merci Inod, c’est sympa de commencer avec une question facile.
Alors, en théorie (et en très résumé), le boulot de productrice exécutive c’est globalement de s’assurer qu’un jeu sort en temps et en heure, en respectant le budget de développement et les objectifs de qualité. En pratique, sur le projet des Cités d’Or, parce que nous étions une toute petite équipe avec un budget très très limité ainsi qu’un planning de production très serré (le but étant de sortir le jeu avant que la diffusion de la nouvelle saison sur TF1 soit terminée), j’ai porté tout plein de casquettes différentes. En amont de la production, mon rôle a été de décider à qui nous allions confier le développement du jeu, et de travailler avec les développeurs potentiels sur le tout premier game concept.
Une fois que le choix de confier le développement à Neko a été fait, nous avons creusé et étoffé le game concept ensemble, et mon rôle était d’échanger avec les game designers sur ce qu’ils proposaient pour le jeu, de challenger leurs idées, de « faire le tri » parmi toutes les propositions, parce que nous savions déjà que nous ne pourrions probablement pas tout faire. Nous avons conservé ce mode de fonctionnement tout au long de la production, durant laquelle j’ai essayé d’être le plus proche possible des équipes de dev, de leur donner un maximum de retours sur chaque feature du jeu et de faire les arbitrages qui s’imposaient. Une partie très importante de mon travail était aussi de m’assurer que les équipes avaient tout ce qui leur fallait pour faire le leur.
Et comme nous travaillions sur l’adaptation du dessin animé, évidemment, il était très important d’être en lien étroit avec Blue Spirit, le studio qui a produit la nouvelle saison des Cités d’Or. Mon rôle a donc aussi été de récupérer auprès de Blue Spirit un maximum d’assets graphiques et sonores provenant de la série, et de leur faire valider les décisions que nous prenions pour le jeu, que ce soit sur le game concept, l’orientation de la caméra, le rendu des personnages, les cinématiques etc. Et puis, évidemment, je devais également tenir au courant Cédric Littardi, le dirigeant d’Ynnis Interactive, de l’évolution du projet, des choix que nous faisions etc.
Mais en parallèle de tout ça il y avait également, en vrac : la gestion de la relation avec Nintendo, le Kickstarter, le montage de dossiers pour tenter d’avoir des aides financières pour le développement du jeu, l’organisation des playtests, le sous-titrage des cinématiques (oui, c’est moi qui me suis amusée à retranscrire et à timer tous les textes des dialogues en français pour qu’on puisse ensuite les faire traduire). La gestion de la localisation (au final le jeu sera traduit en plus de 10 langues, je te jure que c’est un sacré casse-tête), le montage des vidéos de gameplay et, bien sûr, tester le jeu, encore et encore, à chaque milestone, depuis la pré-alpha jusqu’au master, jouer jouer jouer, et faire remonter toutes mes remarques à l’équipe. J’en profite d’ailleurs pour dire ici à quel point toute l’équipe de Neko Entertainment a été géniale tout au long de cette prod. Ils se sont donnés à 300% (et ils le font toujours car il reste du boulot pour terminer de sortir toutes les versions), ils étaient tous extrêmement impliqués et imprégnés de la licence, c’était vraiment un bonheur de bosser avec cette équipe.
Maintenant que le jeu est sorti sur les premières plates-formes, et bien.. c’est pareil ! Nous travaillons actuellement sur les différents patchs, pour l’unlock des derniers niveaux du jeu mais aussi pour l’ajout des langues manquantes, la correction de quelques bugs qui nous ont été remontés par les joueurs etc. Et puis il y a la version 3DS, actuellement en review chez Nintendo, qu’on espère pouvoir sortir très très bientôt.
Evidemment, je garde aussi un œil sur les premières reviews du jeu qui sortent et j’essaye aussi d’être présente auprès de la communauté des joueurs, que ce soit sur Steam ou sur Wii U, de répondre à leurs questions, de transmettre leurs retours à l’équipe de dev si ils ont rencontré des bugs ou si ils demandent l’ajout de fonctionnalités qui me semblent effectivement intéressantes (et pas trop coûteuses).
Ouf ! Voilà, je crois que c’est tout, j’espère que j’ai perdu personne en chemin.
Gamingway : Revenons en arrière, d’où est venue l’envie de se lancer dans l’adaptation de cette licence, y a-t-il eu commande par rapport à la nouvelle série… ?
Ce n’est pas un projet de commande, non. L’idée vient de Cédric Littardi, le fondateur d’Ynnis Interactive (également fondateur et ex-président de Kazé, dont le nom devrait parler aux amateurs d’animation japonaise je pense). C’est un fan de toujours de la série (comme la très grande majorité des gens qui ont bossé sur ce projet) et il avait vraiment envie de voir un jeu vidéo naitre de cette licence. Sa « renaissance » avec la diffusion d’une nouvelle saison était vraiment l’occasion rêvée de donner corps à ce projet, donc il a négocié les droits et hop !
Gamingway : Comment es-tu arrivée sur le projet ? Il semblerait que tu aies forcé le destin en contactant Cédric Littardi, c’est cela ?
Ahah. C’est un peu ça oui. En fait je connais Cédric depuis longtemps (pour l’anecdote, on était dans la même guilde de World of Warcraft il y a… pffiou… beaucoup trop d’années. On avait déjà travaillé ensemble sur un beaucoup plus petit projet. Et puis un jour, un ami commun me dit que Cédric a acheté les droits pour l’adaptation en jeu vidéo de la nouvelle saison des Cités d’Or et qu’il cherche quelqu’un pour porter le projet. J’ai immédiatement décroché mon téléphone, appelé Cédric et je lui ai dit « Hey, il faut qu’on se parle ». On s’est vus et il a été très clair : si je lui amenais une équipe et un game concept qui lui plaisaient, le projet était à moi. Et voilà !
Gamingway : Comme beaucoup d’autres, vous avez choisi de lancer une campagne Kickstarter. La marque Les Mystérieuses Cités d’Or ne suffisait pas pour réunir tous les fonds ?
Ce qu’il faut savoir c’est qu’avant que nous ne lancions le Kickstarter, le jeu était intégralement financé par Cédric Littardi. Sur ses fonds propres. On ne parle pas du budget d’un AAA bien sûr mais ce sont quand même plusieurs centaines de milliers d’euros. Et même si on a confiance dans le boulot qu’on est en train de faire, même si on a confiance dans la force de la licence pour aider à vendre le jeu, il arrive un moment où ajouter ne serait-ce que 10 ou 20 mille euros de plus pour porter le jeu sur une nouvelle plate-forme ou pour le localiser dans telle ou telle langue, ça devient franchement dur. A l’époque, en plus, on avait fait une demande d’aide auprès du Fonds d’Aide au Jeu Vidéo, et cette demande avait été rejetée (depuis on a redéposé un dossier et celui-ci a été accepté). Du coup, on s’est tourné vers Kickstarter.
Gamingway : Et finalement, comment s’est déroulée cette campagne ?
Super bien ! Pour être totalement honnête, moi j’étais un peu sceptique au départ. Je me disais que Kickstarter c’est quand même très anglo-saxon (et surtout très américain) et pour moi Les Mystérieuses Cités d’Or était une licence très franco-française (même si la première saison était une production franco-japonaise, on est d’accord). C’est Cédric Littardi qui a poussé pour qu’on lance la campagne et il a eu totalement raison.
En quelques jours on a découvert qu’en fait le monde entier connaissait et aimait la série ! On a eu des backers des 4 coins du monde, c’était juste génial. On a rempli notre objectif en une semaine, j’en revenais pas. Bon bien sur, ça s’est pas fait tout seul. Une campagne Kickstarter c’est un sacré boulot, on suivait ça presque 24h sur 24, il fallait répondre aux commentaires et aux questions des backers, essayer d’obtenir un max de relai de la campagne dans la presse, répondre aux interviews des journalistes, faire des vidéos (j’ai transformé mon salon en studio amateur, avec mon mec qui tenait la caméra d’une main et une lampe torche pour m’éclairer de l’autre, c’était n’importe quoi)… D’ailleurs je tiens à saluer au passage le boulot de Pascal Clarysse, qui était responsable de cette campagne et qui est pour beaucoup dans son succès.
Gamingway : L’envie que ce jeu soit dans un style aventure était une évidence, à l’instar de ce que les fans de toujours réclamaient ?
Bien sûr.
Honnêtement, si on avait eu les moyens, j’aurais adoré qu’on fasse un RPG. Il y a tout ce qu’il faut dans la licence pour ça, des personnages forts, une grosse méta-histoire, un super univers.. Mais bon, là, pour le faire correctement, on parle plus du tout du même budget, ni des mêmes délais de production.
Alors ce mix puzzle et infiltration, avec un feeling aventure, personnellement j’en suis super contente, surtout que notre intention depuis le départ était de faire un jeu très accessible, ce qui n’est pas toujours le cas d’un RPG.
Gamingway : Mais ces fans de la première heure ne sont pas seuls, on retrouve désormais un jeune public qui découvre la nouvelle série. Ce qui a certainement poussé l’équipe a créer ce jeu, dont les énigmes et la difficulté peuvent permettre une association des deux générations. Etait-ce quelque chose d’important à vos yeux ?
C’était la deuxième chose la plus importante pour nous (la première étant d’être fidèles à l’esprit de la série). Les Mystérieuses Cités d’Or est, pour nous, une des licences les plus trans-générationnelles qui soient. Trente ans après la diffusion de la première saison, les fans de l’époque, devenus parents, achètent les coffrets DVD pour faire découvrir la série à leurs enfants. Et on a le même phénomène avec la deuxième saison, que les parents regardent avec leurs enfants lors des diffusions TV.
Donc oui, forcément, on voulait faire un jeu qui reflète ça. Un jeu auquel parents et enfants pourraient jouer ensemble. Et même si le jeu s’adresse en priorité aux enfants, on s’est rendus compte lors des playtests que ça fonctionnait vraiment bien, les enfants demandant de l’aide à leurs parents quand ils étaient bloqués, qu’ils n’arrivaient pas à résoudre un puzzle ou à passer une phase d’infiltration.
Je sais que les hardcore gamers (et la presse qui s’adresse à eux) nous reprochent d’avoir fait un jeu trop facile. Mais comme je le disais avant, notre objectif était réellement de faire un jeu accessible, familial, un moment qui puisse se partager entre générations différentes. Et je crois honnêtement qu’on s’en est pas trop mal tirés.
Gamingway : Une feature très intéressante est annoncée à propos du jeu, celle de l’ajout de niveaux se débloquant gratuitement au fil de la diffusion des épisodes à la télévision. Le jeu est sorti le 21 et le dernier épisode de la saison 2 a été diffusé en France le 24. La feature est toujours d’actualité pour d’éventuelles rediffusions ou celle-ci est finalement abandonnée ?
La feature est en quelque sorte toujours d’actualité puisqu’un patch est sorti sur Steam il y a quelques jours et sortira bientôt sur Wii U pour débloquer les 10 derniers niveaux du jeu.
Ben sûr ce n’est pas exactement ce qu’on avait en tête. On espérait sortir le jeu plus tôt (on visait mi-octobre), ce qui nous aurait permis de débloquer un ou deux nouveaux niveaux par semaine. Mais là, forcément, ça n’aurait pas grand intérêt.
C’est dommage parce qu’on avait réussi à transformer une contrainte (interdiction de spoiler la série, donc pas le droit de dévoiler certains environnements, comme la Cité d’Or, avant la diffusion TV) en une chouette feature. Mais bon, c’était vraiment trop serré du côté du planning. Au final on est sorti avec un seul petit mois de retard sur nos objectifs initiaux, dans le monde du développement de jeu ça tient plus de l’exploit qu’autre chose.
Gamingway : Il faudra attendre encore un peu pour la sortie 3DS, mais celle-ci gagnera-t-elle quelques ajouts tactiles ou 3D ?
Pas de 3D malheureusement, là encore pour des raisons de coût et de temps.
Notre version lead était la Wii U, avec la possibilité de jouer en tout tactile sur le Gamepad, du coup on retrouve bien évidemment ça sur la 3DS. Les différences entre les deux versions sont assez mineures, principalement une réorganisation de l’interface et un placement de caméra légèrement différent.
On a d’ailleurs sué sang et eau pour faire rentrer absolument tous le contenu et les features Wii U dans la version 3DS, mais il était hors de question de faire une sous-version. Bon, bien sur, c’est de la SD alors que la Wii U est en HD, mais à part ça, c’est le même jeu.
Gamingway : Y a-t-il déjà l’envie de se pencher sur un autre jeu estampillé Les Mystérieuses Cités d’Or, avec un gameplay différent ou peut-être toujours dans l’aventure, entre Neko Entertainment, Ynnis Interactive, Cédric Littardi et bien sûr toi ?
Faudrait déjà qu’on termine celui-là, non ?
Plus sérieusement, oui, bien sûr que l’envie est là. Mais ça dépendra forcément beaucoup du succès du premier jeu.
Et puis il y a la question de la forme que ça peut prendre aussi… DLC ? Autre jeu totalement différent ?
On aimerait évidemment beaucoup faire un jeu basé sur la saison 1, mais les questions de droits sont beaucoup plus compliquées que pour la saison 2.
Gamingway : Tu es loin de ne travailler que sur Les Mystérieuses Cités d’Or : Mondes Secrets, peux-tu nous faire part de tes autres activités, actuelles et à venir ? Y compris au niveau blogging, où la culinopathe me manque d’ailleurs.
En fait je viens de déménager au Canada, à Montréal plus précisément, donc je suis un peu en pleine réorganisation de ma vie professionnelle. Je t’avoue que j’ai des projets sur le feu, mais si je t’en parle je serais obligée de te tuer, ainsi que tous tes lecteurs, du coup, je préfèrerais éviter.
Côté blogging, ça me trotte beaucoup dans la tête, j’ai envie de reprendre l’écriture, de partager l’expérience que je suis entrain de vivre, le déménagement à des milliers de kilomètres, la nouvelle vie, la découverte d’une autre culture,. Mais j’ai pas envie de le faire n’importe comment, ou de la même façon que les tonnes de blogs d’expats qui existent déjà, donc je réfléchis encore.
Gamingway : Merci Fleur pour cet entretien. Tu désires ajouter quelque chose par rapport à ton aventure sur Les Mystérieuses Cités d’Or : Mondes Secrets ou transmettre un message aux lectrices et lecteurs de Gamingway ?
Merci à toi de m’avoir invitée pour cette interview et à eux de m’avoir lue jusque-là, désolée, je suis une indécrottable bavarde :)
J’espère sincèrement que vous aimerez le jeu et que, pour ceux d’entre vous qui sont parents, vous aurez la joie de le partager avec vos enfants.
Interview réalisée par Inod – décembre 2013 (par e-mail)
Les Mystérieuses Cités d’Or : Mondes Secrets sur le site d’Ynnis Interactive