Interview : Black Otakus, équipe e-Sport
Alors que l’e-Sport ne s’arrête plus de grandir et a la capacité, contrairement au sport non électronique, de mélanger les joueurs peu importe leur origine, leur âge ou encore leur sexe, la réalité est bien différente. C’est ce que nous allons voir avec l’équipe Black Otakus, originaire du Cameroun, tout en en apprenant davantage sur elle-même.
Gamingway : Salut à toute l’équipe Black Otakus ! Démarrons avec une présentation de chacun d’entre vous avec vos fonctions au sein de la team et vos spécialités en e-Sport.
Minous197 : Trésorière, jeux de combat, NUNS, Tekken.
lelouch_naruto : Gamer, FPS ,simulation foot, FIFA, Call of Duty…
Jams : Gamer, stratégie, Starcaft, Dota…
zodadinho : Représentant à l’étranger, simulation foot, FIFA.
Alucar237 : Lead de l’équipe, FPS, simulation sportive, COD, Dota 2, FIFA, etc… Polyvalent.
Gamingway : Et désormais Black Otakus en elle-même. De quelle manière a été lancée l’équipe, avec quelle philosophie, quels désirs, quels buts… ?
Merci avant tout de nous donner l’occasion de parler de l’e-Sport africain. L’équipe a été fondée il y a maintenant 4 ans. Au départ il s’agissait juste de faire apparaître le drapeau camerounais dans les classements des jeux multijoueur comme Trackmania Nations, c’était notre fierté de montrer au monde qu’il y a aussi des joueurs en Afrique. Au fil du temps, nous avons découvert qu’il était possible de gagner sa vie avec le jeu vidéo, on ne savait même pas que le mot « e-Sport » existait ! Nous avons été vite rattrapés par la réalité lorsqu’on a réalisé que les africains n’avaient pas le droit de participer à la plupart des tournois dans le monde. C’est de cette façon que nous avons commencé à nous documenter sur le sujet et fait de l’e-Sport africain notre principal combat. Nous voulons prouver qu’on peut réussir sa vie en Afrique avec une manette de jeu vidéo.
Gamingway : Si l’on entend souvent dire que l’e-Sport c’est génial avec ces affrontements entre teams formées de joueurs asiatiques, européens et américains, on ne peut que s’indigner devant l’imposante fermeture que l’on retrouve envers l’Afrique. Pouvez-vous nous en parler davantage, nous expliquer quels sont les problèmes concrets que vous rencontrez… ?
A ce niveau ce n’est plus une imposante fermeture, c’est de la discrimination en bande organisée (rires) ! La situation est telle que nous sommes un peu obligés de la prendre avec le sourire pour ne pas jouer les victimes. Le principal problème vient du fait que la plupart des tournois dans le monde n’autorisent tout simplement pas les africains à participer. Que ce soit en ligne ou physique, généralement, l’Afrique ne fait même pas partie des zones prévues pour les inscriptions. Notre vrai challenge ce n’est pas de gagner mais de trouver des tournois qui nous acceptent. En multijoueur on a souvent droit à des remarques « intelligentes » de joueurs étrangers comme « ah bon vous avez Internet en Afrique? », je prends cet exemple pour vous montrer que même les relations entre joueurs africains et étrangers sont assez particulières…
En Afrique l’un des principaux problèmes est Internet. Vous vous en doutez sûrement mais la connexion Internet en Afrique, même si elle est en plein boom, reste mauvaise et chère comparée à ce qui existe ailleurs. Internet est très populaire sur mobiles, mais on ne peut pas faire un tournoi Call Of Duty sur smartphone… En outre nos familles et nos amis nous prennent un peu pour des fous (rires). Je te laisse imaginer le résultat lorsqu’un jeune africain tente d’expliquer à sa mère qu’il veut devenir joueur professionnel et non cadre d’entreprise (rires). L’e-Sport est encore méconnu en dehors de quelques cercles de passionnés et peu d’entreprises ont compris que c’est une réelle opportunité marketing de cibler des jeunes dans un contexte qui leur parle directement.
Après, je ne pense pas que nous devrions nous concentrer sur la comparaison de l’Afrique à d’autres régions e-Sport. Quand nous aurons nos propres fondations, nous pourrons aller loin dans ce domaine. Voilà le vrai problème que nous rencontrons.
Gamingway : Des idées pour changer cela et peut-être même un investissement de votre part pour faire bouger les choses ?
Pour que les choses changent, il faudrait que l’on soit plus soudés déjà en Afrique. Les équipes évoluent souvent en solitaire, c’est dommage. Les pays africains devraient considérer le jeu vidéo comme une opportunité et même un outil éducatif. Le jeu vidéo ce n’est pas juste des pixels et des explosions. On apprend plus vite l’anglais dans certains jeux que dans un cours classique. Nous voulons montrer que le jeu vidéo peut éduquer les enfants et ouvrir l’esprit sur les cultures de par le monde. L’Etat camerounais peut apporter un soutien inestimable, le jeu vidéo étant un outil culturel et les événements e-Sport internationaux une opportunité pour le tourisme local. Pour cela nous avons pour projet d’organiser l’AFRICA GAMES SHOW au palais des sports de Yaoundé. Le lieu est symbolique pour montrer la dimension sportive du jeu vidéo et l’idée est de créer un événement sur le modèle du Tokyo Game Show. Pour le moment nous ne sommes qu’aux premières étapes pour concrétiser cette idée. J’ai fait un tour à une édition de la Paris Games Week, je me suis dit que les joueurs, les geeks et les studios de développement africains méritent un événement de cette envergure pour montrer leur talent. En plus nous cherchons des sponsors prêts à aider les équipes locales et même faire venir des équipes internationales pour légitimer nos compétitions.
Gamingway : Cette fermeture au Continent fait d’ailleurs que l’on ne connait quasiment pas, voire pas du tout pour la plupart des gens, ce qui se déroule en Afrique au niveau e-Sport, ainsi que son niveau. Je vous laisse nous informer afin d’en apprendre davantage sur cette scène.
En réalité l’e-Sport africain est hyperactif MAIS il n’est pas très connecté. En gros, il y a des équipes de gamers partout mais ils n’ont ni Twitter, ni Facebook et parfois une adresse e-mail. La preuve même Black Otakus vient de créer son compte Twitter. Vu qu’Internet n’est pas de très bonne qualité, les équipes ne voient pas l’utilité de se tourner vers le Web de façon naturelle. Le jeu en réseau est quasiment inexistant ici. En général les options multijoueur en ligne des jeux ne nous servent à rien en Afrique.
La scène e-Sport africaine est répartie d’après notre expérience en 3 grandes zones. La première je dirais que ce sont les pays d’Afrique du Nord (Maghreb). Dans cette zone, l’e-Sport est de loin plus développé qu’en Afrique subsaharienne à une exception près que je vous donnerai ensuite. La connexion Internet est meilleure, dans un pays comme le Maroc il y a beaucoup de franchises donc les coûts pour avoir accès à des jeux vidéo ne sont pas aussi élevés qu’en Afrique subsaharienne (1 200€ la PS3 à la sortie il y a quelques années, au moins 600€ la PS4 aujourd’hui). Les joueurs marocains sont les plus doués d’Afrique du Nord même si les autres sont aussi talentueux.
Ensuite la deuxième zone est l’Afrique subsaharienne francophone et anglophone (sauf un pays). L’Afrique francophone est moins développée et moins active que l’Afrique anglophone, du coup, il y a moins d’équipes de ce côté mais quelques organisations sont mises en place pour promouvoir l’e-Sport. En Afrique de l’Ouest il y a l’association sénégalaise de jeux vidéo SEN GAMES qui organise régulièrement des tournois et soutient des projets de développement locaux avec l’argent récolté. En Afrique anglophone le Kenya en Afrique de l’Est est l’un des pays les plus connectés à Internet et aussi celui où la scène e-Sport est la mieux organisée. Il y a des équipes vraiment reconnues. Le Cameroun est bilingue (français, anglais) et ça se ressent dans l’e-Sport local.
La dernière zone, il s’agit en réalité d’un pays qui se démarque à la fois de l’Afrique subsaharienne et des autres pays anglo-saxons, c’est l’Afrique du Sud. La scène e-Sport dans ce pays est complètement différente. Il y a beaucoup de sponsors, ils ont pu participer aux championnats du monde de Call of Duty, certains joueurs arrivent à vivre de leur passion. Il y a des leaders, des sponsors, des infrastructures pour les événements, une meilleure connexion Internet, le soutien de médias locaux. L’e-Sport est un peu plus reconnu chez eux que dans les autres pays.
Enfin, bien qu’il semble que les teams asiatiques, américaines et européennes soient mieux organisées en termes d’infrastructures, d’équipes, de circuits et de ligues ; L’Afrique a un représentant très puissant et important dans l’e-Sport. Après avoir fait quelques recherches mondiales nous avons découvert qu’il y a une équipe e-Sport appelée Empire Arcadie qui est numéro 1 en terme de victoires en championnats dans le monde. L’équipe est fondée et dirigée par un africain ! Beaucoup de gens ne savent pas cela parce qu’ils n’en font pas la recherche. Nous avons discuté avec le fondateur TriForce Johnson et il fait partie de ceux qui aident à développer l’e-Sport en Afrique.
Gamingway : Quels sont les genres et même plus précisément les jeux principalement abordés lors des tournois ?
Sans réfléchir Combat et Simulation de Football. Vu qu’Internet est comme il est et que les consoles de jeux étaient inaccessibles à la plupart d’entre nous. Nos premières consoles au Cameroun c’étaient des bornes d’arcades sur lesquelles il n’y avait que des jeux de combat (Street Fighter, King of Fighters, etc… ). Contrairement aux joueurs occidentaux qui recherchent la simulation pure, des graphismes léchés, la technique, etc… ici on est plus arcade. Pour faire simple Need for Speed est plus populaire que Gran Turismo. Les joueurs africains ne sont pas aussi exigeants que les occidentaux sur les graphismes, c’est surtout l’expérience globale et le fun qui l’emportent pour la popularité d’un jeu. Des jeux comme Zelda, Minecraft, Final Fantasy, Diablo qui sont ultra connus en Occident sont peu voire pas du tout connus en Afrique subsaharienne en dehors de quelques passionnés. Minecraft n’aurait aucune chance de réussir au Cameroun, ici tout le monde trouve le jeu ennuyeux. Pourtant Yori Yagami de King of Fighters est carrément un personnage mythique pour toute une génération de joueurs camerounais.
Les manga sont très populaires en Afrique francophone, par conséquent les adaptations en jeu vidéo aussi. C’est le cas par exemple pour la série des Naruto Ultimate Ninja Storm qui fait un tabac dans les tournois pour les jeunes. PES pour son côté arcade était le leader il y a quelques années, FIFA avait repris le dessus jusqu’à la sortie du dernier PES 2015 qui a remis les compteurs à zéro dans les deux camps. Street Fighter, King of Fighters et Tekken sont des jeux qui ont déjà leurs « experts » locaux.
Gamingway : En plus de la fermeture à certaines origines, on trouve souvent une séparation dans l’e-Sport entre les joueuses et les joueurs, ce qui est tout bonnement inadmissible. Cela se passe de quelle façon en Afrique ? Vous qui démontrez bien que l’on peut se mélanger dans une équipe, même si pour le moment Minous197 est la seule fille de Black Otakus.
Dans notre cas les choses se sont faites naturellement. Minous197 est une fille meilleure que la plupart des joueurs dans le monde y compris nous. C’est stupide de dire qu’une fille ne peut pas jouer aussi bien qu’un garçon. En Afrique, pour être honnête ça dépend de la région dans laquelle on se trouve. Les joueurs sur tout le Continent sont ouverts d’esprit peu importe le pays mais les sociétés ne sont pas les mêmes. Dans les pays arabes et les pays musulmans d’Afrique de l’Ouest, ce sera clairement un peu plus compliqué pour une fille de s’affirmer en tant que joueuse. L’Afrique Centrale avec des pays comme le Cameroun et le Gabon est moins traditionaliste du point de vue culturel, du coup c’est généralement une bonne surprise de voir une fille dans un tournoi de jeu vidéo. Pour nous le mélange fille, garçon dans l’e-Sport ne pose AUCUN problème.
Gamingway : Vos prochains rendez-vous en compétitions ?
Un tournoi Tekken sera organisé durant ces vacances à Yaoundé, la capitale, Black Otakus sera présent !
Gamingway : D’autres projets pour Black Otakus ?
Black Otakus a pour projet d’aller en Asie rencontrer des acteurs de la scène e-Sport. On vous en dira plus le moment venu…
Gamingway : Merci à vous cinq pour l’entrevue. Souhaitez-vous ajouter quelque chose concernant Black Otakus, l’e-Sport et/ou un message pour les lectrices et lecteurs de Gamingway ?
MERCI, MERCI, MERCI à Gamingway ! Vous êtes les meilleurs ! Vous avez toute notre gratitude pour nous avoir donné l’occasion de parler de notre passion. L’Afrique ce n’est pas des lions et des éléphants, même moi je n’en ai jamais vu. Nous tenons à vous dire que Black Otakus n’est qu’une pièce d’un ensemble plus vaste. Gardez à l’esprit qu’il y a des centaines d’équipes sur tout le Continent même si vous ne les voyez pas sur la toile, certaines meilleures que la nôtre. Au-delà de toutes nos différences culturelles que vous soyez africains ou pas, nous sommes tous des gamers. Et puis, continuez de lire Gamingway, ce sont des vrais passionnés qui ont réussi à vous dénicher une équipe en Afrique. Enfin Grand Merci à Inod, pour nous il est déjà un peu camerounais :) .
Interview réalisée par Inod – juin 2015 (par e-mail)
J’aimerais pouvoir les contacter si t’as toujours leur mail j’apprécierais que tu me le passe.
Voilà merci beaucoup et bonne continuation à toi