Dossier : Trevor Philips, analyse de la « star » de GTA V
Il y a bien un jeu que personne n’a oublié en 2013 et dont on se souviendra encore longtemps. Ce fameux GTA V, immense, regorgeant du génie et de la générosité de ses créateurs, les frères Sam et Dan Houser.
Et si leurs conceptions vidéoludiques, que ce soit les Grand Theft Auto ou les autres titres du studio Rockstar North (comme les Red Dead et l’excellent Redemption ou Bully), sont aussi renommées dans l’industrie, ce n’est pas que pour leurs univers riches et leurs gameplay jouissifs (et presque parfait), c’est notamment pour leur écriture ainsi que pour leurs personnages.
Aujourd’hui, je vous propose de revenir sur sans doute l’un des protagonistes les plus importants de ces dernières années… Et peut-être même plus, Trevor Philips. Attention toutefois, l’analyse portera sur l’intégralité de GTA V, et spoilera la fin, et il serait dommage de ne pas la découvrir soi-même.
Première lecture : histoire d’un Américain (un peu) fou
Avant d’entrer en profondeur dans le sujet, il est bon de rafraichir les mémoires. Incarné par l’excellent Steven Ogg, Trevor est d’origine Canadienne. Si l’on ne connait pas grand-chose de son enfance, on sait qu’il est né dans les années 60 et que celle-ci fut traumatisante. Aux côtés de Michael Townley et Brad Snider, il commencera à braquer des banques et, suite à un casse qui tourne mal, se retrouve à fuir son pays natal, seul, pour finir on ne sait trop comment dans une caravane sale, au beau milieu de la campagne Américaine, à quelques kilomètres de San Andreas et du domicile d’un certain Michael De Santa…
La première mission de GTA V correspond justement à la fuite de Trevor vers les Etats-Unis.
Au premier abord, Trevor n’est qu’un simple sociopathe qui a (sans doute) besoin d’un peu d’affection, d’une raison de vivre aussi. Il se lance même dans entrepreneuriat, la fameuse « TP Enterprise ». Sauf que…. Sauf qu’avec cette entreprise, il se lance dans le commerce de drogue et d’armes illégales. Et même qu’il se débarrasse des autres offres en la matière en leur montrant la porte de sortie si je puis dire, et ce, dès sa première mission jouable, où Johnny Klebis (chef des Lost, héros de GTA IV : The Lost and The Damned), puis Ortega (un dealer d’arme et de drogue mexicain, personnage mineur). Et si ce n’était pas finalement une représentation un peu plus trash du capitalisme et des dérives qu’il entraine ? C’est peut-être un peu fort, mais finalement, le but d’une entreprise est d’être le plus rentable possible, et de grossir, toujours, encore, quitte à devoir manger les autres. Et si la guerre se fait parfois à coup de dollars, ici, dans la campagne très pauvre du sud des États-Unis, elle se fait à coup de fusil. Le capitalisme n’est toutefois pas ici traité comme une peste indésirable, elle est seulement caricaturée, comme à l’habitude dans un GTA.
Honnêtement, ne pas tirer sur Ortega est d’autant plus difficile que l’on est encore dans le feu de l’action à ce moment-là…
Autre élément intéressant… Une simple petite phrase de Michael par rapport à Trevor : le fait qu’il est impossible de prévoir se qu’il va faire après. Gênant, effectivement, pour faire un braquage propre avec un psychopathe. Tiens, tiens, serait-ce une référence au cinéma de Quentin Tarantino ? On savait que les frères Houser sont de grands cinéphiles (en atteste l’existence même de Red Dead Redemption), mais surtout qu’ils sont de grands fans du réalisateur de Pulp Fiction. Le jeu comporte en fait de nombreux points communs avec Reservoirs Dogs (1992). Le premier, c’est bien entendu le braquage de banque, au centre des deux histoires. Même si le film de Tarantino se déroule en lieu clôt (un vieil entrepôt) alors que GTA V, lui, se déroule dans un état entier des États-Unis. Autre similitude, le personnage culte du film, Mr Blonde, incarné par le génial Michael Madsen (encore un Michael ?!). Lui aussi est un psychopathe, et comme le dit judicieusement Harvey Keitel : « Ne jamais faire un braquage avec un psychopathe ».
On pourrait approfondir les liens entre les deux films, mais nous nous éloignerions du sujet. Pour conclure sur Reservoirs Dogs, la fameuse scène de torture… Qui apparait aussi dans GTA V. Pas la même bien entendu, mais dans les deux cas, quelqu’un est malmené sans raison évidente et presque comme si c’était normal, un jeu, pour Trevor et Mr Blonde. Je vous laisse vous faire votre propre avis les regardant vous même ci-dessous.
Attention, scènes (très) violentes, âmes sensibles, s’abstenir.
Seconde lecture : Un reflet du joueur ?
Derrière cet article se cache en réalité la réaction d’un joueur face à « une œuvre blockbuster ». Autrement dit, deux possibilités : soit elle est vide de sens et tout s’enchaine pour le plaisir de la mise en scène et des ventes assurées du jeu en question, soit tout s’enchaine pour le plaisir de la réflexion implicite. Pour faire un rapport avec le cinéma, prenez un film de super héros badasse, un peu stupide et pas franchement probant… Le dernier Spiderman par exemple. C’est un blockbuster, nous sommes d’accord, mais il ne rentre que dans la première possibilité : ne venez pas me dire que c’est un film où il faut être très malin pour comprendre. Par contre, si vous prenez les films de Scoresse, nous sommes aussi face à des blockbusters (surtout les derniers), mais cette fois si, ils rentrent dans la seconde possibilité, où la mise en scène est clairement au service d’un scénario qui propose deux grandes couches : l’histoire et la réflexion. Ce système de classement marche aussi pour les jeux. Mais où mettre GTA V ?
Et si Le Loup de Wall Street (2013) et GTA V (2013) n’était dans leur réflexion que deux facettes d’une même pièce : celle de celui qui veut et celle de celui qui a ?
Comparons déjà avec le IV, acclamé à sa sortie par la presse et les joueurs pour la qualité de l’univers, de son scénario et du jeu d’un point de vue ludique. Je le mettrais personnellement dans le second cas. Dans le jeu, sans trop en dire, l’histoire prend un malin plaisir à détruire les codes du rêve Américain et va aller jusqu’à poser cette petite phrase qui à un petit gout amer dans la bouche d’un joueur, car, en réalité, elle lui est autant dédiée qu’à Niko Bellic « N’avez vous pas peur pour votre âme ? ». Si elle n’est pas forcément remarquable par un joueur lambda (même si elle est charnière d’un point de vue scénaristique puisque c’est à ce moment que l’on découvre l’histoire tragique de l’antihéros de GTA IV), s’il l’on veut correctement analyser le jeu, il est nécessaire de s’y attarder, voir même de la considérer comme une pièce maîtresse.
Alors, oui, j’ai fait un détour, mais je reviens à notre personnage de Trevor qui, lui aussi, est une pièce maîtresse du jeu, déjà d’un point de vue scénaristique, mais aussi dans le cadre d’une analyse. Si, à la base, chacun des trois protagonistes principaux que sont Michael, Franklin et Trevor sont des représentations d’autres personnages de la série (Franklin fait bien entendu penser à Carl « CJ » Johnson de GTA : San Andreas ou Trevor à Claude de GTA III ou à Tommy Vercetti de Grand Theft Auto: Vice City), ils sont aussi des portraits du modèle Américain : le jeune afro-américain noir qui veut sortir des ghettos, le vieux père de famille cinéphile complètement dépressif et… Trevor. Mais alors, qui est Trevor dans le jeu ?
Et bien, selon moi, même si cela peut sembler improbable, c’est tout simplement une représentation du joueur lui-même. Oui oui, du joueur, celui qui tient la manette. Mais pas juste un joueur, LE joueur de GTA, celui qui est capable de faire n’importe quoi dans le jeu si on lui indique du doigt. Preuve en est ce sondage réalisé sur 119 personnes sur le forum GTA V de jeuxvideo.com et sur Twitter… Le personnage avec lequel ils ont tué le plus de monde d’après eux est clairement Trevor (avec 58,8%), loin devant Michael et Franklin (avec respectivement 22,7% et 18,5%). Le personnage de Trevor est tout désigné en effet à cette tache. Pas uniquement pour sa compétence spéciale, mais plutôt pour sa capacité à être systématiquement imprévisible (et donc meurtrier dans certains cas). On roule avec lui sans aucun souci sur le trottoir, on s’en fiche ce n’est qu’un jeu, Trevor s’en fiche aussi d’ailleurs, on est totalement en dehors du système qui montre que tuer c’est mal. Aucune morale, rien du tout. De la même façon, le personnage de Franklin est prédestiné à conduire, c’est pour cela que d’après le sondage, 54,2% des gens ont volé plus de voitures avec Franklin qu’avec les deux autres personnages. Trevor est d’ailleurs, d’une très courte tête le personnage préféré avec 38,1% des suffrages exprimés.
Mais si Trevor est à mettre en parallèle du joueur, c’est parce qu’il est conçu pour être une catharsis. Rappelez vous… Lors du final, si vous vouliez tuer Trevor, il décédera par la suite dans un torrent de flammes du à l’essence qui s’est échappée d’un container. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard. Si Michael le dit lui même : « T’as toujours adoré l’essence », le plus intéressant dans cette mort, c’est justement pas le produit, mais son résultat : le feu. Le fait que le feu a toujours été le symbole de renouveau, du recommencement ; lorsqu’on brûlait quelqu’un, c’était pour sauver son âme du diable. Sauver son âme, tiens donc, justement la réflexion d’un certain GTA IV… Et comme avec Niko Bellic, on ne cherche pas à sauver juste le personnage jouable, mais aussi le joueur. Bref, Rockstar a bel et bien conçu les trois protagonistes de GTA V dans une optique de concevoir des personnages faisant écho à d’autres des précédents volets. Niko Bellic ou Trevor Phillips, même combat finalement ?
Conclusion
Trevor Philips est-il un personnage aussi stupide qu’on voudrait le croire ? Et bien, tout dépendra de votre position par rapport à lui. Au premier abord, oui, il est clairement un psychopathe comme beaucoup d’autres personnages de la série. Mais en réalité, il est très fin dans son écriture. Vous le saviez déjà, mais les Houser sont de vrais cinéphiles, et contrairement à ce que l’on pourrait croire, les personnages de GTA ne sont que des archétypes, des copies au service d’un scénario et d’un univers, des copies ou de très fortes inspirations en fait. On aurait pu ici comparer Trevor non pas juste à Mr Blonde, on aurait très bien pu le comparer aussi à Derek Vinyard (Americain History X) ou à d’autres types de personne qu’il ne vaut mieux ne pas croiser dans la vraie vie. De plus, certains trouveront la comparaison avec le joueur osée, pour ne pas dire irréaliste, mais c’est exactement comme dit au-dessus : il y a de nombreuses possibilités. À vous de dire ce que vous voyez dans le prisme que représente Trevor Philips. En attendant, j’ai quelques chiens à torturer moi.
lic007