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Dossier : À la recherche de Durell Software (première partie)

Le jeu vidéo commence à accumuler quelques années d’histoire, faite par de nombreux éditeurs et développeurs aujourd’hui disparus. Rappeler pourquoi ils ont compté est toujours nécessaire et c’est ce que je vais tenter de faire au travers d’articles dédiés à ces oubliés, en commençant par l’un de mes chouchous, Durell Software.

Il est une époque que les plus jeunes d’entre nous n’ont pas connu, une époque durant laquelle le marché du jeu vidéo ne se divisait pas entre trois ou quatre grandes entreprises. Nombre de petites structures existaient et offraient quantité de titres plus ou moins bons aux joueurs et joueuses. Une époque où les ventes étaient nettement plus confidentielles qu’aujourd’hui et qui voyait ses titres à succès bien plus partagés par le piratage que par les enseignes commerciales.
La très grande majorité des joueurs dits « micro » (possédant un ordinateur) disposaient sur cassettes ou disquettes de centaines de jeux. Il parait difficile de nier que cette pratique du piratage massif est l’une des principales cause de la disparition de tous ces petits éditeurs de l’époque, n’ayant pas les épaules suffisamment solides pour s’installer sur les nouveaux supports des années 90. Ainsi, le déclin des C64, ZX Spectrum et Amstrad CPC a également coïncidé avec la disparition de quelques noms pourtant fameux.
Si l’en est un que tous les plus de 35 ans connaissent, c’est bien Durell Software, ou plutôt certains des jeux que l’éditeur aura sorti durant ses quatre années d’existence (oui, seulement quatre ans). Cette première partie sera essentiellement consacrée à l’histoire et aux productions du studio britannique.

 

Des débuts prometteurs
Basée au Royaume Uni, à Taunton, l’entreprise est fondée en 1983 par Robert White, un enseignant devenu métreur décidé à créer ses propres programmes. Elle est spécialisée dans la conception et l’édition de jeux pour micro-ordinateurs 8 bits (ZX Spectrum, C64 et Amstrad CPC). Dès la première année, six titres verront le jour parmi lesquels le mythique Harrier Attack qui restera leur plus gros succès commercial avec 250 000 exemplaires vendus. Un nombre de ventes assez éloigné des ténors de l’époque¹, mais tout à fait correct si l’on prend en compte le nombre de sorties et le peu de communication du secteur. Durell est l’une des rares petites entreprises du jeu vidéo des années 80 pouvant se targuer d’avoir marqué durablement la mémoire des joueurs avec plusieurs titres majeurs (sur lesquels je reviendrai un peu plus loin), une vraie prouesse si l’on se base sur le nombre de programmes qui pouvaient sortir durant une année sur les machines 8 bits.
Il faut dire que la société ayant principalement développé pour le ZX Spectrum réalisait des portages (certainement rapides par soucis d’économies) proches des versions d’origine, donnant ainsi aux titres du développeur une identité propre, reconnaissable au premier coup d’œil.

À ce stade de notre article, il est peut être temps de faire un point technique. Le ZX Spectrum, machine de prédilection de Durell (mais également de nombreux développeurs anglo-saxons de l’époque), est basé sur une architecture 8 bits. Sorti en 1982, c’est le premier ordinateur Sinclair à proposer de la couleur, une grosse évolution pour la marque qui avait déjà commercialisé plusieurs machines estampillées ZX depuis 1979. Le très gros avantage de l’ordinateur de Sinclair était son prix, le plus bas du marché dans cette gamme, 1 800 francs (∼ 650 €²) contre 3 500 francs (∼ 1 050 €²) pour l’Amstrad CPC 464 et 1 990 francs (∼ 760 €²) pour le Commodore 64. Un tarif « réduit » qui se répercutait évidemment sur la technologie même, avec une première version de la machine embarquant uniquement 16 Ko de RAM (rapidement remplacée par une version proposant 48 Ko). Le plus gros souci rencontré par les développeurs était le « colour clash », empêchant l’utilisation de plus de deux couleurs par bloc, un problème qui créait des chevauchements, l’impression que les modèles étaient transparents. C’est d’ailleurs de là que vient l’esthétique Spectrum, d’un défaut qui le rend identifiable entre mille.

Une ludothèque solide

Avant le rachat des licences par Elite Systems en 1987, Durell Software développera 19 jeux, soit près de 5 titres par an (imaginez ce que cela représenterait de nos jours). Tous ne sont pas inoubliables, loin de là, par contre il est quelques noms restés dans la légende, alors je vous en propose un petit tour d’horizon.

Harrier Attack (1983)
Ce shooter au scrolling horizontal sera le premier vrai succès du studio, le titre qui les fera connaitre auprès du grand public. Très inspiré par Scramble (Konami) apparu dans les salles d’arcades en 1981, Harrier Attack prend place durant la guerre des Malouines. Le gameplay est simple, mais assez exigeant au niveau du timing. L’avion se déplace à vive allure sur un scrolling horizontal et il faut détruire les cibles aériennes ou au sol en tirant au bon moment. Visuellement minimaliste, le jeu se révèle très addictif une fois lancé.
Une version remastered existe d’ailleurs sur support Android.

Version Amstrad CPC

Combat Lynx (1984)
L’année suivante, Durell propose un autre titre qui marquera les joueurs de l’époque, toujours sur le thème de la guerre, avec cette « simulation » d’hélicoptères de combat. Visuellement, le jeu garde cette identité empruntée au ZX Spectrum, même si la version C64 offre une charte graphique un peu différente. La particularité du titre est de proposer un environnement en fausse 3D, donnant une impression de grande liberté dans les déplacements. Ce choix pose manifestement des problèmes au niveau de la fluidité, le jeu souffrant de grosses saccades dans le défilement du décor. Seul la version CPC s’en sortira bien du fait de la plus grande puissance de la machine.

Version C64

Saboteur (1985)
Peut-être le titre le plus connu et le plus emblématique du studio (même si le nombre de ventes reste inférieur à celles de Harrier Attack). Le joueur se retrouve dans la peau d’un ninja tentant de s’infiltrer dans une base militaire pour dérober une disquette contenant les noms de membres d’un groupe de rebelles. Présenté en 2D de côté, le jeu est un action/plateformer relativement simpliste dans ses mécaniques. Il est possible de sauter, de frapper, envoyer des objets et fouiller. Les combats sans le moindre intérêt (le gros point noir du jeu) sont totalement esquivables au prix de quelques segments de barre de vie et ne sont là que pour « habiller » les décors. Par contre, le principe de pouvoir terminer la partie sans remplir tous les objectifs est assez peu courant à l’époque ; il est ainsi possible de fuir la base en hélicoptère sans avoir le document recherché ou ne pas faire exploser le complexe en partant. Ce que les joueurs retiendront surtout, c’est le level design original et la taille de la carte, des éléments que le deuxième épisode poussera plus loin (mais nous y reviendrons).

Version Amstrad CPC

Thanatos (1986)
Autre grand titre marquant et autre ambiance. Le jeu va directement chercher du côté de la dark fantasy en proposant aux joueurs d’incarner Thanatos le Dragon dont la mission est, dans un premier temps, d’aller libérer la sorcière Eros, retrouver son grimoire et la mener à son chaudron afin qu’elle libère le monde des ténèbres. Thanatos se présente comme une sorte de shooter à scrolling horizontal dans lequel votre seule arme sera le souffle enflammé du dragon. Extrêmement ardu, le jeu est tout aussi fascinant qu’addictif. À sa sortie, il est plébiscité par la critique qui lui donnera d’excellentes notes malgré sa difficulté bien trop relevée. La patte graphique « Durell » est toujours présente, mais les animations du dragon sont particulièrement réussies et restent toujours agréables à regarder aujourd’hui. La presse félicitera également l’utilisation du défilement parallaxe très réussi.
Au-delà de ces éléments, il est impossible de parler de Thanatos sans évoquer sa musique d’intro qui est certainement l’une des plus mémorables de cette génération de micro-ordinateurs.

Version C64

Turbo Esprit (1986)
Jeu parfois moins connu, Turbo Esprit n’en demeure pas moins l’un des grands titres du studio. Le joueur doit arrêter des trafiquants de drogue en leur barrant le chemin avec sa voiture dans une ville en 3D. Bien que souffrant techniquement, le titre proposait une aventure vraiment originale durant laquelle il fallait respecter les règles de conduite afin de mener à bien sa mission, des éléments de gameplay absents de tous les autres jeux d’action en voiture. Turbo Esprit est reconnu par beaucoup comme le précurseur de la série des Grand Theft Auto.

Version Amstrad CPC

Saboteur II : Avenging Angel (1987)
Chose assez rare chez Durell : produire une suite. Reprenant la formule de Saboteur premier du nom, Avenging Angel offre un gameplay un peu plus souple, des environnements plus grands et plus variés. L’objectif est maintenant de retrouver une série de code afin de stopper l’envoi de missiles balistiques avant de fuir le complexe à moto. Si le jeu n’est qu’une version améliorée de Saboteur, il a le très bon goût de mettre le joueur dans la peau d’une Kunoichi (femme ninja), fait assez rare à l’époque pour le faire remarquer.
Un Saboteur III était en chantier, mais n’a malheureusement jamais vu le jour, bien qu’il existe quelques images traînant sur Internet.

Version Amstrad CPC

Pour les plus curieux d’entre vous, ainsi que les nostalgiques, il est intéressant de noter que Clive Townsend, créateur de la série, n’a jamais vraiment abandonné la licence et propose des versions remake adaptées pour différents supports (dont la Switch récemment). Je ne peux que vous encourager à aller jeter un œil sur son site afin de voir l’avancée des portages et vous inciter à l’aider financièrement dans cette aventure. Il semblerait également que Clive Townsend ait décidé de ressusciter le troisième épisode, comme le montre ce trailer sorti en 2018 :


Il me semble également important de traiter un point important qui touche indirectement à l’histoire du studio : la musique.
Certains thèmes ayant largement contribué à la légende et resteront gravés pour longtemps dans les mémoires des joueurs qui les ont écoutés au fil des parties. Il est intéressant d’aborder un peu la partie musicale, car à cette époque, chaque machine proposait des capacités sonores diverses, imprimant d’une certaine façon, un souvenir auditif différent pour chacun. Une situation que les joueurs d’aujourd’hui ne connaissent pas, étant donné que les OST sont identiques d’un support à un autre. Alors que les ZX Spectrum et Amstrad CPC étaient équipés du même processeur sonore, le AY-3-8912, le Commodore 64 était doté du SID. Au-delà de ces appellations, les microprocesseurs délivraient des rendus très particuliers. Pour illustrer d’un exemple, je vous propose d’écouter deux versions d’un même thème : Saboteur II par Rob Hubbard.
 
Si Rob Hubbard est un compositeur incontournable de l’époque, Durell Software aura également mis en lumière le travail de Julian Breeze dont l’œuvre vidéoludique se limitera malheureusement à deux jeux : Sigma 7 et Thanatos. Ce dernier offrant l’un des plus beaux thèmes de l’ère des micro-ordinateurs 8 bits. Je vous recommande d’ailleurs chaudement son interview sur le site suédois Cammoflage.

Que reste-t-il de nos amours ?

Si cette petite rétrospective parlera essentiellement aux plus âgés d’entre vous, il n’en demeure pas moins que Durell Software est un incontournable pour qui s’intéresse à l’histoire du jeu vidéo sur micro ordinateur dans les années 80, les fondations du jeu PC que l’on connait aujourd’hui. Ce dossier m’a amené à relancer quelques titres sur les différentes machines (via émulateurs) et si mon cœur reste attaché à l’Amstrad CPC, je suis obligé de reconnaître que les portages Commodore 64 étaient souvent plus fluides et donc plus agréables à prendre en main, même si plus faibles visuellement. C’est donc plutôt ces versions que je recommanderais à ceux qui souhaiteraient découvrir ou redécouvrir les titres du studio. Même si le gameplay parait extrêmement aride aujourd’hui, il est amusant de voir comment les développeurs mêlaient expérimentations et astuces de programmation pour contourner les limitations techniques des machines de l’époque. Durell Software restera un marqueur de son temps et certainement l’un des meilleurs candidats pour aborder la question des studios historiques de la génération 8 bits.
La seconde partie de ce dossier sera, quant à elle, consacrée à Robert White, fondateur de Durell Software et son fils Tom White, actuel PDG de l’entreprise. Au fil d’une longue interview remplie d’anecdotes, vous pourrez découvrir l’histoire du studio mythique et ce qu’il est devenu.

Ominae

¹Pitfall sorti sur Atari 2600 s’était écoulé à 4 millions d’exemplaires, Pac-man à plus de 7 millions.
²Selon le tarif de l’époque, en tenant compte de l’inflation jusqu’à aujourd’hui

Sources :
Durell Software
Abandonware-magazines
Wikipedia
CPC Rulez

CPC Power
Cammoflage
World of Spectrum
Sidmusic

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