Conférence de Presse PEGI SELL – Partie 3
Vous pensiez que nous en avions fini avec cette conférence de presse ? Détrompez-vous, car nous allons aborder ici ce qui s’est passé après, l’occasion de glaner quelques informations supplémentaires et de faire un point critique, sans langue de bois.
Les deux premiers articles consacrés à cette conférence de presse ont permis de faire réfléchir les gens sur des aspects importants de l’industrie des jeux vidéo ainsi que sur les relations enfants-parents et jeux vidéo. On a découvert une campagne de publicité ambitieuse à but pédagogique, cependant tous les aspects ne sont pas abordés.
Des affirmations un peu paradoxales
Par exemple, dans son guide du PEGI, le SELL avance des chiffres assez surprenants :
Plus de 70 % des consommateurs français reconnaissent la signalétique du système de classification
Comment ce chiffre a-t-il été calculé et que signifie-t-il exactement ? Car on constate toujours un fossé énorme entre ce que les joueurs pensent réellement de PEGI, classification jugée inutile par la grande majorité, et les chiffres officiels qu’on nous avance qui tendent à prouver le contraire. Il serait intéressant de savoir pourquoi un tel écart existe afin de mieux communiquer.
Ensuite, ceux qui travaillent sur ces problèmes ne pensent pas forcément à tout. Quand on travaille avec des enfants et adolescents et quand on discute avec leurs parents, on se rend compte que leur perception des jeux vidéo et de la norme PEGI n’est pas forcément celle que ceux qui l’ont créée voulaient. Par exemple, trop de parents estiment qu’un jeu PEGI 16 ou PEGI 18 va aider à faire grandir et s’épanouir leur jeune enfant alors qu’un jeu PEGI 3 ou 7 va l’infantiliser. De ce fait, il arrive même que les parents interdisent à leurs enfants de jouer à des jeux de leur âge et leur mettent entre les mains des jeux destinés à des personnes plus âgées, pensant bien agir. Cet aspect n’est pas pris en compte dans la nouvelle campagne PEGI et nous à demander à Serge Tisseron comment agir dans ce cas.
Question spéciale à Serge Tisseron
Gamingway : Comment faire comprendre aux parents qu’un jeu PEGI 12 ou PEGI 18 ne va pas aider un jeune enfant à s’épanouir et qu’un jeu PEGI 3 ou PEGI 7 ne va pas l’infantiliser ?
S. T : Il y a une comparaison très éclairante pour les produits culturel, ce sont les produits alimentaires. Pour un adulte, la viande, les légumes, les cuisines exotiques, les épices, tout ça, à certains moments, cela peut être très agréable. En revanche, on ne met pas du beefsteack dans le biberon du bébé et on ne lui laisse pas le saladier de crème au chocolat sur la table du salon avec une cuillère à côté pour qu’il se serve quand il veut. Les produits culturels, c’est exactement pareil : il faut en contrôler la consommation mais il faut aussi contrôler si le produit est adapté à la capacité qu’à l’enfant de digérer l’impact de ce produit sur lui. Il y a une digestion alimentaire de ce que l’on mange, il y a aussi une digestion psychologique de ce que l’on voit et de ce qu’on entend. Or le problème d’un jeu 18+ pour un enfant jeune, c’est que certaines scènes, inévitablement, cela varie d’un enfant à un autre et cela ne sera peut-être pas dans la première heure de jeu mais dans la deuxième; inévitablement, à un moment ou à un autre, il y aura une scène qui risque de malmener l’enfant psychologiquement parce que cette scène le confrontera à des émotions ingérables. Le problème, c’est que si le parent a conseillé le jeu, l’enfant n’osera pas dire à son parent qu’il a été malmené par le jeu parce qu’il craindra que son parent le traite de bébé. Et donc vous voyez que le fait que le parent conseille un jeu 18+ à son enfant de 12 ans (NDLR : ou moins) a pour effet que l’enfant perd la liberté de parler à son de ce qui le malmène dans le jeu. Le parent peut dire après « Oui, j’ai conseillé un jeu 18+ à mon enfant mais il s’en est jamais plaint ». L’enfant ne s’en est jamais plaint parce qu’il a eu bien trop peur que le parent se moque de lui car c’est le parent qui lui a prescrit. Du coup, un tel parent perd la possibilité d’évoquer avec son enfant ce qui peut le malmener. Et l’enfant se sent obligé de dire au parent « Oui, c’est bien ! C’est formidable ! » et le parent en tire argument pour fournir à son enfant d’autres jeux 18 +, en courant le risque de malmener son enfant de telle façon que ce dernier ne peut pas en parler.
On sait bien que les traumatismes, sans parler de gros traumatismes, même les traumatismes émotionnels mineurs, s’ils sont cumulatifs comme c’est dans le cas des jeux vidéo, peuvent ensuite entraîner des comportements problématiques. L’enfant peut répéter certaines phrases qu’il a entendu dans le jeu qui l’ont bousculé, et les répéter pas du tout à propos. Dire : « Je vais t’éclater la tête », c’est banal dans un jeu vidéo 18 +, mais en revanche dans la cour de récréation, le dire à un adulte qui veut remonter les bretelles d’un enfant cela peut devenir totalement problématique. Du coup, ses parents se coupent de la possibilité de lui parler de l’impact psychologique du jeu sur lui, se coupent de la possibilité d’accompagner et d’aider leur enfant et se coupent même d’accompagner leur enfant dans beaucoup d’autres situations de la vie parce que l’enfant trouvera toujours qu’après-tout, ce qu’il y a dans la vie, ce n’est pas aussi grave que ce qu’il y a dans les jeux vidéo donc si le parent lui dit que ce qu’il vit dans les jeux vidéo est normal alors l’enfant pensera que ce qu’il vit dans la rue, quand on l’agresse pour lui prendre son blouson, c’est moins pire que dans le jeu vidéo. Mon père me dit que dans le jeu vidéo c’est normal, donc, dans la vie, c’est normal aussi, je n’ai pas besoin d’en parler.
Vous voyez que de tels parents vont même finir par perdre la possibilité d’aider leur enfant dans des situations difficiles de la vie quotidienne et je pense qu’aucun parent ne doit avoir envie de ça.
Un grand merci à Serge Tisseron pour cette réponse complète et pour nous avoir donné de son temps.
Quelques éléments de réflexion supplémentaires
Nous avons aussi discuté brièvement de certaines méthodes pour tenter d’inclure les interdictions dans les jeux vidéo, mais c’est techniquement difficile à réaliser et nos lois françaises peuvent également l’en empêcher. Il a quand même été admis que, si les consoles, tables, PC et smartphones disposent tous d’un dispositif de contrôle parental, ce dernier est souvent méconnu des parents ou peu pratique et inefficace. Il y a donc des améliorations à faire de ce côté.
Enfin, PEGI va se réunir en novembre en Pologne (si je ne dis pas de bêtise) pour discuter de la réalité virtuelle. Faut-il modifier la classification pour ces jeux et comment le faire ? On a tenté d’en savoir plus même si rien n’a encore été décidé et il semblerait que, si quelque chose est envisagé, cela ne concernera que le contenu et non l’ergonomie. Autrement dit, PEGI ne devrait pas tenir compte du fait que jouer avec un casque de réalité virtuelle peut entraîner des vertiges ou des maux de tête, même si le jeu exige de faire des mouvements répétés. Cela ouvre un débat délicat car doit-on considérer que cela fait partie du contenu du jeu, étant donné que c’est le jeu qui demande de faire des mouvements de tête pour interagir, ou cela doit-il reste une simple question d’ergonomie ? Étant donné que ce sujet ne sera certainement pas tranché rapidement, il vaut mieux faire comme Sony qui, comme on l’a mentionné quand on est allé tester des jeux VR, a pris les devants et ne va proposer que des jeux qui ne demandent pas de bouger.
Pour finir, si les membres du SELL, de PEGI et de Pédagojeux sont conscients que les jeux vidéo évoluent rapidement et les joueurs aussi, ils ne s’attaquent pas à tous les types de comportement. La technologie, c’est bien, mais on commence à se rendre compte qu’elle rend les gens de plus en plus égocentriques (selfie, vidéo juste pour faire parler de soi) or rien n’est fait pour tenter d’enrayer cela. Pourtant, on constate ce problème partout, même dans les salons ou aux conférences privées : les gens ne s’intéressent qu’à eux-mêmes et de moins en moins à ce qu’on leur montre. Ce qu’on leur montre n’est qu’un prétexte pour faire parler d’eux, d’où le risque de faire dévier le message afin de mieux mettre en évidence sa propre personne. Ce comportement est tout aussi grave que les traumatismes éventuellement dus à du contenu inapproprié, or pour l’instant personne n’essaie de redonner un peu de savoir-vivre aux gens. Il y a donc encore du travail et beaucoup de chemin à parcourir avant de faire comprendre aux consommateurs comment se comporter de façon respectueuse.