Dossier : les héroïnes de jeux vidéo
Si les personnages féminins sont apparus très tôt dans les jeux vidéo, il faut bien avouer qu’ils ne tenaient pas un rôle important, à part se faire sauver par le beau héros mâle et sa grosse épée ! Les psychologues pourraient vous en dire long à ce sujet, surtout qu’il faut garder à l’esprit qu’à leurs débuts, les jeux vidéo étaient une occupation essentiellement masculine. Un divertissement pour les mecs, fait par de vrais mecs, en gros ! Dans ces conditions, il ne faut pas s’étonner de voir les véritables premières héroïnes apparaître seulement à partir des années 1980, alors que les premiers jeux vidéo datent des années 1950 !
Passons donc en revue les 3 figures emblématiques des femmes dans les jeux vidéo, par ordre chronologique.
La première femme qui tient véritablement le rôle principal et qui a du succès vient logiquement du Japon. Pourquoi logiquement ? Parce que, contrairement au reste du monde, il y a plus de mixité au pays du soleil levant, et donc plus de femmes dans les jeux, même si dans un premier temps, elles ne font qu’accompagner le véritable héros qui sait bien manier une arme, mais qui aurait besoin d’aide pour le ménage ou la lessive. Un grand classique qui ne choque personne et qui semble nécessaire dans la construction masculine, paraît-il. Cependant, les mentalités évoluent et les femmes prennent suffisamment d’importance pour être mises en lumière.
Ainsi, la révolution vient du Japon en 1981 : Namco, voulant attirer plus de femmes dans les salles d’arcade, crée la borne Ms. Pac-Man. Ainsi, la célèbre boule jaune est remplacée par une fille sexy (enfin, pour une grosse boule jaune !), au comportement limite racoleur, qui raconte les débuts de sa relation avec Pac-Man à travers quelques cinématiques. C’est un début qui n’est pas resté dans les mémoires, mais c’est véritablement la première héroïne de jeux vidéo. Quand on y réfléchit, le mythe de la blonde écervelée et aguicheuse vient peut-être de là, car un truc féminin qui utilise ses charmes pour que des fantômes mâles viennent la croquer, c’est un peu glauque ! Vous pouvez toujours en parler à un spécialiste, si cela vous amuse…
Néanmoins, Namco a involontairement lancé la polémique sur la sexualisation des personnages de jeux vidéo à travers la description de sa nouvelle propriété intellectuelle et les illustrations de la borne d’arcade.
En 1986 et toujours au Japon, Makoto Kano et Hiroji Kiyotake inventent Metroid et Samus Aran sur NES, première femme-combattante qui doit sauver l’univers. Bon, après, il faut relativiser : dans un monde encore très machiste, cette héroïne est voil… euh, recouverte d’un scaphandre de combat qui a empêché les joueurs de connaître sa véritable identité pendant longtemps. À l’époque, il y avait un code très célèbre pour jouer à Metroid avec Samus sans armure (J U S T I N B A I L E Y – – – – – – – – – – – -), mais dans les collèges, c’était plutôt « Ouais, c’est le code pour jouer avec LA FILLE !« . On rentrait le code par curiosité, pour voir ce que ça donnait, mais on avait en tête que c’était un autre personnage, comme un bonus ou un bogue. On ne pouvait pas imaginer une seconde que c’était sa véritable identité, car ce n’était pas possible : dans les jeux vidéo, il n’y avait pas de femmes, cela ne pouvait pas être autrement. Une rumeur prétendait même qu’un code permettait de la mettre toute nue, comme quoi, les mentalités machistes résistent !
Même si Samus Aran a longtemps manqué de reconnaissance, elle n’est pas moins devenue un personnage important qui inspire de nombreux cosplayers. Elle a eu droit à sa propre BD et fait des apparitions très remarquées dans les Smash Bros. Certains ont fait remarquer qu’à ses débuts, Samus Aran n’était pas sexualisée et en rien un objet de désir. Ce n’est qu’après Metroid Prime qu’on met en avant ses formes féminines gracieuses en la faisant tortiller des fesses devant le joueur, dans une superbe tenue moulante. Un changement de cap qui devrait faire réagir les féministes !
Il faut ensuite attendre 1991, toujours au Japon, pour voir émerger de nouvelles femmes fortes. Les RPG restent un genre privilégié pour elles, et ce sont Dragon Quest et Final Fantasy qui, petit à petit, intègrent des femmes de moins en moins débiles à l’équipe, comme Rydia de FF IV, familiarisant les joueurs avec autre chose qu’un jeune mâle en rut qui doit nécessairement sauver le monde pour se prouver qu’il est un homme. Bon, là encore, c’est un peu la vision des psy, mais il y a quand même du vrai là-dedans.
C’est pourtant bien en 1991 que Capcom sort un jeu marquant : Street Fighter II The World Warrior. Ce jeu marque l’apparition de Chun Li, la jeune fille fragile (?) dans un monde de brutes épaisses. À peine sortie de l’enfance, elle doit venger la mort de son père. C’est brutal pour une fraîche rose à peine éclose, une princesse des temps modernes qui ne peut pas se permettre de rêver au prince charmant. Pourtant, tout comme Samus Aran, même si elle est un minimum mignonne (sans forcément être belle), elle n’est pas non plus un simple objet sexuel, même si elle a dû provoquer des réactions chez certains tordus. Il faut avouer que ses gros jamb… ses cuisses très musclées ne sont pas habituelles chez une femme fatale, et sa poitrine n’est pas particulièrement mise en avant, sans parler de ses cris et mimiques de petite fille de 4-6 ans. Vraiment rien d’excitant en elle, à ses débuts. Ce n’est pas encore la très sexy Cammy !
Pourtant, ce mélange étonnant de combattante aussi fatale que déterminée et de femme-enfant aux réactions de gamine (en fin de combat) a su séduire les joueurs. Chun-Li est vite devenue un véritable phénomène de société, inspirant de nombreux artistes du street art. Déclinée en de nombreuses figurines par des spécialistes (Tsume), elle a su pénétrer le monde réel, contrairement à Samus Aran, à travers 2 films : Street Fighter (incarnée par Ming-Na, l’agent Melinda May de la série Marvel : Les Agents du Shield) et Street Fighter : Legend of Chun-Li (interprétée par Kristin Kreuk de Smallville). Cependant, ces 2 films déçoivent les fans et les mauvaises critiques empêchent l’explosion de sa popularité, malgré les nombreux jeux, séries et films animés l’exploitant.
Les années 1990 marquent un tournant dans les jeux vidéo, avec de plus en plus d’intrusions dans les autres secteurs, comme le cinéma (Resident Evil). En 1996, un Indiana Jones en jupon est lancé : Lara Croft apparaît dans Tomb Raider. Le jeu se veut novateur, mais honnêtement, ne révolutionne pas tant que ça le genre et est assez moyen, comparé aux autres productions de l’époque. Pourtant, il se vend très bien. La raison de son succès ? La sexualisation à outrance de son héroïne : Core Design a volontairement laissé la poitrine de Lara énorme, alors que sa taille est simplement due à une erreur, passant de 50% à 150% et à l’équivalent d’un 90D. Les mâles de Core Design ont du avoir une belle raideur devant le changement et flairer que cela aiderait à vendre plus de copies du jeu.
Un code a même aussi été envisagé pour jouer avec Lara Croft nue et c’est possible dans de nombreux Tomb Raider, même encore maintenant. D’ailleurs, à l’époque, les discussions typiques des ados étaient :
-« J’ai essayé le code de tombe railledeur pour faire des gros seins à Lara. »
-« Ouais, mais c’est nul, plus c’est gros, plus c’est carré ! »
-« Ta gueule, PD ! »
C’est navrant, mais c’est véridique ! Tomb Raider et Lara Croft doivent une partie de leur succès à des ados boutonneux et des jeunes mâles en manque de copine qui fantasmaient sur une poitrine virtuelle, à défaut d’en trouver une réelle ! C’est un point de départ un peu malsain qui a vite propulsé le personnage virtuel au rang de célébrité mondiale. Elle avait ce qui manquait à Chun-Li : des formes généreuses bien mises en avant !
Ainsi, il fallait des filles superbes pour l’incarner dans la réalité et entretenir le mythe : Eidos Interactive a donc engagé de nombreux mannequins pour ses innombrables apparitions publiques (Lara Wessel, Lucy Clarkson, Nell Mac Andrews, Rhona Mitra et Vanessa Demouy).
Véritable phénomène de société, la très médiatisée Lara Croft est également une icône de la mode à laquelle les filles s’identifient. On parachève le succès au cinéma grâce à Angelina Jolie, que son « petit » 90C oblige à rembourrer son soutien-gorge pour le premier film.
Le reboot de la série ne cherche même pas à gommer son image sulfureuse, puisqu’on peut toujours l’incarner totalement nue, comme si c’était une marque de fabrique de la série. Elle incarne vraiment la femme-objet, le fantasme masculin par excellence. Pour éviter cela, on la rend cool, sexy et glamour, afin de donner du rêve aussi bien aux hommes qu’aux femmes. En faisant ainsi, on enferme un peu plus la femme dans un rôle d’objet sexuel, contrainte à être jeune et belle si elle veut exister.
Depuis, aucune autre figure féminine n’arrive à émerger. Pourtant, de nouveaux visages ont tenté leur chance comme Jade (Beyond Good & Evil), Harmony (Super Mario Galaxy), Jodie Holmes (Beyond : Two Souls), Nilin (Remember Me)… Toutes jeunes et belles, elles n’ont pourtant pas eu de succès retentissant et parfois, ont même connu des flops !
Seule Jill Valentine (Resident Evil) arrive à s’en sortir, sans être énormément populaire pour autant. Comme quoi, quand on n’est pas une bimbo qui veut frapper des vrais mâles, on a du mal à exister !
Alors que les femmes luttent pour l’égalité, il est navrant de constater que les jeunes joueuses sont très attirées par des personnages qui incarnent encore les fantasmes masculins d’un autre temps. Des femmes fortes, mais très sexualisées, prêtes à tortiller du croupion devant la première brute épaisse qui les mettra K.O. Pourtant, il y a plein de personnages masculins célèbres, sans provoquer la moindre attirance sexuelle : Mario, Sonic, Zangief, Ratchet & Clank, Sly Raccoon, Crash Bandicoot, Sacha et Pikachu, Mega-Man (si c’est votre cas, consultez rapidement !)… À quand la première héroïne « moche » et célèbre ? Une femme au physique normal, pas parfait, comme les prochaines Barbies voulues par Mattel pour mieux coller à la femme d’aujourd’hui. Les mentalités n’évoluent vraiment pas vite, on se demande même si elles ne régressent pas !
D’autant que je me pose la même question que celle de la conclusion à savoir si les « mentalités ne régressent pas… ! »