Test : Spider-Man (PS4)

Qu’obtient-on quand on mélange les moyens financiers de Sony et les talents du studio Insomniac pour un projet de jeu à licence ? Un blockbuster, un vrai, avec ses bons et ses mauvais côtés.

Alors que l’on pensait avoir vu le bout de la mode des mondes ouverts « modernes » AAA d’Assassin’s Creed ou de Watch Dogs, qu’on s’imaginait l’ajout compulsif d’activités, d’objets à collectionner et de combats guidés terminé, voilà que Sony surenchère avec brio. Avait-on encore besoin d’un jeu angoissé à l’idée que l’on ne visite pas les moindres recoins de son univers et n’arrive pas à la fin de son aventure, avec comme carotte non pas le plaisir de jouer, mais un trophée platine, la fierté testotéronée du « J’ai TOUT fait » et l’envie de repasser à la caisse ?

La crise d’adolescence

Le titre d’Insomniac Games est loin d’être mauvais. Ses louanges sont chantées aux quatre coins de l’internet et de la presse, à raison. On ne peut qu’être abasourdis par la beauté du tout sur sa PS4 Day One, la quasi-absence de ralentissements et ses mécaniques de jeu particulièrement bien trouvées… Dans la forme.
Et c’est peut-être sur ce point où se situe le problème : à l’image d’un·e adolescent·e cherchant absolument à être comme « tout le monde« , dans l’optique d’être populaire et de faire remarquer -ce, même si le comportement qu’ils adoptent et singent ne reflètent en rien ce qu’ils sont ou veulent être- le titre mime ses congénères modernes à la perfection dans la forme, en oubliant, comme eux, d’avoir un véritable fond. Pour celles et ceux qui ont un minimum de passif dans le jeu vidéo, il est impossible d’être étonné par les nouvelles aventures de l’homme-araignée.
On enchaîne douloureusement des situations déjà vécues un peu partout, mais cette fois-ci en spandex rouge et bleu, sur les murs. Donner à Spider-Man PS4 le surnom « SM PS4 » est un choix que j’assume pleinement. Un peu de souffrance peut plaire dans certaines situations, après tout… J’aurais juste aimé qu’on me demande mon consentement.

 

With great power comes great QTEs

Tout scénariste, écrivain ou autre réalisateur vous le dira : les premiers instants sont plus importants. C’est là qu’on attrape son public, qu’on le retient et lui donne envie de rester. Et c’est exactement à ce moment que le blockbuster de Sony m’a perdue. Alors oui, c’est beau, c’est très beau, même. Les animations dans les vidéos et phases de jeu sont impressionnantes de réalisme et de naturel (bien qu’elles peuvent parfois dévier un peu dans la vallée dérangeante) mais tout ceci n’est que de la poudre aux yeux. Une fois le côté wahou passé et digéré, disons au bout de cinq à dix minutes, on se retrouve face aux mécaniques pures du titre que le jeu nous explique très clairement, via des « QTE » interminables.

L’image est en effet constamment envahie d’informations nous rappelant sur quoi appuyer et à quel moment, jusqu’au générique de fin. « △+O« , « L2+R2″, « X », « L1+R1 »… Sous-entendu « appuyez sur ces boutons maintenant ! ». Le titre d’Insomniac semble avoir peur de nous perdre. Pourtant, les sensations sont là; s’accrocher aux immeubles, se balancer avec ses toiles d’araignée, tout se fait naturellement et avec excitation. Un bon compromis a été trouvé entre les contrôles relativement complexes des épisodes GameCube et la sur-simplification d’Attack on Titan et on arrête rapidement de s’emmêler les pinceaux, alors pourquoi devoir afficher autant de d’informations ? Il aurait été judicieux d’avoir une option pour les désactiver et permettre aux plus érudits de pouvoir s’amuser sans être pris par la main. Restons honnêtes néanmoins : ce genre de système reste très intéressant pendant les quelques petites premières heures de jeu tant le nombre d’actions possibles est élevée, et probablement vitales pour celles et ceux moins habitué·e·s aux divertissements interactifs. Seulement, on ne peut s’empêcher de voir là une assistance trop prononcée à un titre s’en sortant merveilleusement bien dans ses mécaniques.

 

Les phases de combat subissent un problème similaire, cette fois non pas avec des îcones mais avec des indices de couleurs et l’absence de combos à apprendre. L’idée n’est pas récente, mais a beaucoup fait jaser avec le titre de 2009 Batman: Arkham Asylum, dans lequel on retrouvait pour l’une des premières fois des combats fluides, impressionnants et accessibles à tous.
Au lieu de retenir des combos compliqués et de faire attention à son environnement et ses assaillants, on avait juste à enchaîner les deux touches de coups et à presser celle d’esquive quand on nous le demandait. Un principe original et très intéressant permettant aux moins habitués de la manette de pouvoir profiter d’un jeu à licence de qualité. Après tout, tout fan de Batman n’a pas forcément d’ancienneté vidéoludique, et les développeurs ont fait un point d’honneur à rendre le tout le plus accessible possible.

Dix ans plus tard, l’exécution -la forme- n’a pas changé. Elle a bien été raffinée au fur et à mesure des multiples dizaines de titres reprenant le système, mais à un moment de l’évolution, le but de ces mécaniques -son fond- a (malheureusement ?) été altéré. SM en est le dernier héritier. Certes, tout le monde doit pouvoir profiter du jeu, mais surtout, tout le monde doit pouvoir gagner, avancer et finir.

Les joutes se déroulent de manière très classique : caméra qui s’éloigne en hauteur, ennemis faciles à discerner et annonçant clairement leurs actions et deux boutons d’attaque à tapoter en conjonction d’une touche d’esquive. Il suffit alors de suivre les indications qui, ici, sont représentées par des aura lumineuses autour des différents éléments de l’action. Généralement, quand il y a de la lumière, c’est qu’il faut appuyer sur O pour esquiver et ensuite reprendre le massacre des touches □ et △ de votre manette probablement mourante. Quelques gadgets très Batman viennent vous faciliter la tâche au cas où. On est donc face à quelque chose de classique, simple et surtout fonctionnel, très dynamique, que les néophytes sauront apprécier à sa juste valeur. Pour les autres, on enchaînera les affrontements de manière un peu robotique, principalement émerveillés par le premier premier système de combat de qualité prenant en compte toutes les capacités de Spider-Man. Quelque chose qui nous sera très utile dans l’action parfois excité des visites de Manhattan.

 

Un sac sans fond

Tours en hauteur à activer pour débloquer la carte, sacs à collectionner, pigeons à capturer, stations de recherche à allumer, figurines de chat à trouver, immeubles à libérer… Ubisoft vient d’appeler, ils sont jaloux de n’avoir jamais eu le courage d’aller aussi loin.
Chacun de ces éléments se trouve dans un endroit très spécifique de la ville et a pour but de vous faire visiter le coin de manière forcée, un peu comme si SM vous disait « Hey ! Regarde ce lieu génial que j’ai fait !« .
C’est d’autant plus flagrant avec les photos de monuments ou lieux marquants qu’on nous demande de prendre, avec pour excuse de mieux « calibrer » notre carte. La fatigue se fait sentir très vite, d’autant plus – encore une fois- quand on a déjà fait ça dans mille autres AAA. Pourquoi ne pas nous laisser nous balader librement sur la carte ? Insomniac, ou plus précisément les responsables du cahier des charges, auraient-il si peu confiance en les mécaniques jouissives qu’ils ont pu mettre en place ? Il n’aura jamais été aussi agréable de se promener, simplement, sur fond de musiques semblant être tout droit sorties du Cinematic Universe de Marvel et de croiser au hasard des criminels en plein ouvrage.

Sauf que le titre a très peur qu’on ne voit pas tout ce qu’il a à nous montrer, qu’on ne remarque pas le travail d’orfèvre accompli. Et pour s’assurer qu’on ne manque rien, une pression sur le stick droit (« R3 » nous hurle régulièrement le jeu) dévoile la position extrêmement précise de tous ces éléments pendant quelques secondes, répétables à l’infini. Des piliers de lumière sortant directement des lieux d’intérêt illuminent le ciel et les bords de l’écran sont submergés de minuscules pictogrammes indiquant où se trouvent ceux que l’on aurait pas vu. Cette surdose d’informations envahit inutilement l’écran, en plus d’éliminer tout intérêt d’exploration. Les ennemis ne sont pas très compliqués à battre et les objectifs principaux et secondaires sont affichés en grand à l’écran. C’est sûr qu’on arrivera à la fin du jeu sans complication ni frustration… Ce qui est sûrement un gros plus pour les débutants ! Quant aux autres, on se dira que rien n’est à trouver à New York, il suffit juste de marcher vers la lumière. J’espérais que mon moment viendrait un peu plus tard, quand même…

Cette mécanique a néanmoins une base scénaristique intéressante, une critique sociale, qui malheureusement tombe à plat en peu de temps. Pour avoir accès à toutes ces informations, il faut d’abord réactiver les dites tours radar des différents centres de police de Manhattan (ne vous inquiétez pas, elles sont elles aussi indiquées sur votre carte et à l’écran). On remarque rapidement que les forces de l’ordre peuvent regarder de près et de manière particulièrement efficace la population. La surveillance exagérée des grandes villes, qui peut aller jusqu’à repérer et reconnaître des visages, le fichage en masse de la population, voilà ce dont SM essaye de discuter… Sauf que la police est vraiment très gentille. Très très gentille. Super sympa, même. À part quelques rebelles au début et une mission annexe, nos amis en bleu font véritablement ça pour notre bien, sans jamais épier notre quotidien et ce, même s’ils en ont la possibilité. Bien que certains semblent ne pas forcément apprécier Spider-Man (« Je dois partir d’ici avant que les forces de l’ordre arrivent » s’inquiète-t-il régulièrement), ils sont loin de se plaindre de son aide. Les comics ou les films ont toujours présenté une relation compliquée entre le héros et la protection officielle de la ville, mais ici tout le monde est gentil et travaille ensemble.
En bref, ces tours sont une idée très Ubisoft dans la forme et tombent à plat dans le fond. La même chose peut être dite pour la pollution, décrite comme terrible, mais n’apparaissant visuellement que l’espace de missions annexes, ou de la pauvreté et des sans-abris, confinés au centre de la tante May. Tant pis pour le commentaire sur notre monde moderne, et merci quand même d’avoir essayé. Après tout, nous sommes dans un univers fictif, et il n’est pas nécessaire de coller à la réalité. Vous vous rattraperez ailleurs, ne vous inquiétez pas…

 

Ah, les femmes…

… Attendez, c’est le joueur qui s’inquiète, là. Ou plutôt, la joueuse que je suis. En surface, le scénario et son exécution sont plein de bonnes intentions. L’officier Yuri Watanabe, femelle de son état, a une apparence lambda, non sexualisée, et discute de manière humaine avec notre héros. La même chose peut être dite pour Mary Jane -alias MJ, également une femme- qui, après sa rupture avec Peter Parker il y a six mois a avancé dans sa vie pour devenir journaliste au Daily Bugle. Elle aussi arbore un design simple et rafraîchissant et est représentée comme une Terrienne et non pas comme un objet de fantasme. J’aime et en redemande.

Sauf que voilà, ces figures féminines fortes et indépendantes en apparence ne le sont pas tant que ça. La policière court après toutes les informations que Spider-Man lui donne, voire le rappelle régulièrement. Une claire dépendance est affichée et l’aide ne va que dans un sens. C’est à nous de rallumer ces radars, de trouver les brigands, de les battre et de jouer au détective pendant que Yuri nous suit tant bien que mal.

Le cas de Mary Jane est malheureusement pire. On nous l’introduit comme personnage à part de l’histoire lors de la visite d’un musée personnel où elle expose aux joueurs, de manière posée, les raisons très crédibles de sa rupture avec Peter. Et pourtant, il lui suffit de croiser le regard de notre héros pour retomber immédiatement sous son charme, comme si le passé n’avait jamais eu lieu. Elle fini rapidement par lui courir après même, objet à sa disposition dans le fond mais femme forte et autonome dans la forme, dont la carrière connaîtra un coup de boost en rédigeant des articles sur les enquêtes de l’homme-araignée.

 

Libérez leur créativité

Il aurait été pourtant facile d’intégrer activement ces personnages secondaires (et d’autres) sans avoir à recourir à ce genre de traitement. Heureusement que le reste du scénario s’en sort mieux : des antagonistes emblématiques de la série font leur retour de manière mystérieuse, d’autres sont étonnamment moins méchants que d’habitude… Insomniac a réussi à créer sa propre vision de l’univers de Spider-Man en manipulant la source avec brio. « No spoil » comme on dit, mais internet vous a déjà probablement raconté certaines choses étonnantes sur les activités du Dr. Octavio. Bien qu’adoptant une narration relativement classique, que Marvel ne saurait renier, les nouvelles idées qu’ont pu instaurer les développeurs sont les bienvenues. Voilà où se trouve la fraîcheur de SM PS4, où le fond et la forme s’articulent.

Le titre d’Insomniac aurait pu être tellement plus, mais on ne lui en a pas laissé la possibilité. On se retrouve alors avec un titre d’action extrêmement bien rodé et construit, beau, fluide, divertissant.. Mais classique. Spider-Man PS4 fait comme tout le monde, en mieux, et le jeu reste un plaisir à parcourir et à découvrir. On peut trouver à redire sur la manie qu’il a à vouloir absolument nous tenir la main, à s’assurer qu’on arrive au bout sans frustration, mais il est difficile de critiquer son ambiance fabuleuse, ses contrôles intuitifs et son scénario captivant.

Marynou

Points forts :

– C’est beau et fluide
– Des contrôles simples et faciles d’accès
– Un scénario intéressant
– Une bande-son très Marvel
– Poli jusqu’à la moelle

Points faibles :

– Déjà vu et revu
– Attrapez-les tous
– Préjugés malheureusement trop présents
– Facile et guidé

La note : 15/20

Éditeur / développeur : Sony / Insomniac Games
Genre : Action, Aventure
Plateforme : PS4
Date de sortie : 04 septembre 2018

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