Test : Kingdom Hearts III (PlayStation 4)
Qui vivra Sora… Nous avons vécu, nous savons donc. La trilogie de onze épisodes arrive enfin à sa conclusion épique annonçant sans complexe que les problèmes ne font que commencer.
Étude en profondeur de l’œuvre à l’horizon, garantie sans spoilers pour cette fin.
La série Kingdom Hearts est coupable de nombreux péchés. Le premier est de faire croire de par sa numérotation qu’elle est composée de trois épisodes majeurs et de nombreux spin-off optionnels. Le deuxième est d’envahir l’intrigue de cette « ultime » épisode de références importantes à ces derniers, prouvant ainsi qu’ils étaient tout aussi canoniques les uns des autres. Du monde numérique du journal de Jiminy à la coquille-réceptacle Xion, Nomura et son équipe ont tout fait pour lier les dix chapitres précédents, quitte à perdre la majeure partie des joueurs et à en devenir incohérent. Leur péché ultime reste néanmoins d’avoir pleinement conscience de s’être éparpillés et de rattraper son public en sortant au préalable des compilations pour faciliter la compréhension de l’intrigue… En omettant Kingdom Hearts χ[chi], le RPG social en ligne gratuit Android/iOS, pièce centrale de l’intrigue de Kingdom Hearts III.
La série, idée lumineuse au départ, est rapidement devenue une affaire de passion. Les épisodes bonus se sont enchaînés après la sortie du II, tous apportant leur pierre à un édifice que le producteur avait avoué à demi-mot vouloir annualiser. L’heure est pourtant venue pour eux d’affronter leurs peurs et de nouer de manière cohérente leur capharnaüm… En omettant le serment tant espéré que les hallucinations artistiquement fabuleuses de Nomura, mais narrativement insensées, s’arrêteraient là. Le titre annonce en fait le contraire : l’histoire n’est pas terminée. On est en droit d’être frustré, en colère contre ce bazar faisant passer Evangelion pour une œuvre accessible à un nouveau-né.
Alors pourquoi le dernier-né de la série est-il si captivant ? Est-ce la nostalgie ? Le profond lore disséminé au fil des années réuni en un endroit ? Ou bien l’enchaînement de ces dialogues aussi incompréhensibles que captivants ? Gardez votre paracétamol à portée de main, vous en aurez besoin.
Hikari [Lumière]
Un ascenseur à la fin des années 90, deux têtes influentes voulant donner naissance à un projet ambitieux et la lumière fut : Kingdom Hearts était né. Les intervenants n’étaient pourtant pas forcément les bons. D’un côté, un haut placé de Disney séduit par l’idée de produire un jeu ouvert à la Mario 64, rentable, qui réunirait de manière commercialement spectaculaire les différents univers de sa marque. De l’autre, un artiste de Square au style instantanément reconnaissable, un rêveur capable de produire sur commande des tableaux inoubliables parfois frappants, souvent touchants, qu’il veut absolument placer, quel que soit le contexte. Une imagerie occidentale iconique faisant rêver (et cauchemarder) les plus jeunes depuis plus de cent ans, revue par un fanatique de fermetures Éclair et d’épées surdimensionnées. Disney rencontre Final Fantasy, le mélange improbable par excellence. La première idée de cet homme traçant ici ses débuts en tant que producteur, Tetsuya Nomura : armer Mickey et ses amis de tronçonneuses. Tout va bien, il gère. Après réflexion, on se retrouvera finalement avec des clé-épées gargantuesques nommées Keyblades. Ça reste mieux que de découper Winnie l’Ourson en deux.
La série Kingdom Hearts n’est autre que le clash entre une soif insatiable d’argent et la folie d’un artisan de l’image et non de mots. Les jeux captivent par les scènes qu’ils offrent, la possibilité de vivre de manière interactive nos œuvres Disney préférées n’étant que l’appât pour attirer les plus réticents. Malgré les apparences, Kingdom Hearts n’est pas véritablement une ode à la gloire de ces chefs-d’œuvre d’animation et du cinéma. Nous avons plus affaire à des pubs aseptisées et maladroites, liées par une histoire tragique et sombre dépassant clairement le cadre du souhait original des ayants-droit de Mickey. Qu’une telle œuvre puisse exister est un miracle, tant elle est l’antithèse de ce que ces derniers produisent.
Un des aspects narratifs les plus marquants a en effet toujours été la dichotomie entre les mondes sous licence et le fil conducteur original. Atterrir sur une planète Disney est accepter de revivre une version déconstruite du film totalement déconnectée du reste de l’aventure. Tout comme la Bête n’interagit en aucun cas avec Ansem Seeker of Darkness, le kidnappeur de sa bien-aimée, Elsa ou Raiponce n’ont d’autre rôle que celui de répéter ce qu’elles ont déjà joué sur grand écran. Elles ont le droit de taper sur la tête de quelques sans-coeurs, mais il ne faut pas espérer les voir dans la même scène qu’un des nombreux antagonistes inventés par Nomura. Ils semblent même être là pour s’assurer que le joueur n’interférera pas avec les trames originales, préférant les forcer à rencontrer d’autres paysages et figures proéminentes des longs métrages. On aurait beaucoup voulu rejoindre la fameuse Reine des Neiges juste après la création de son château, pourtant, ne serait-ce que pour l’aspect « que se passerait-il si… » ; pas de bol, c’est à sa sœur Anna que doit revenir cet honneur. Et quand ils ont le droit de dévier et de proposer un synopsis inédit, comme pour les mondes Pixar, les enjeux n’y sont pas élevés et les retournements de situation absents. Cela pourrait permettre à l’univers de Square de vivre et respirer, mais il n’en est rien : nous avons plutôt droit à une fanfiction d’un film à succès en parallèle d’un fil rouge particulièrement sombre. « Ne mélangeons pas les torchons et les serviettes » semble répéter inlassablement le jeu. Il semblerait que le crossover avec Final Fantasy s’arrête là où les dirigeants de Disney s’apprêtent à faire une crise cardiaque. En y repensant, Mickey, Donald et Dingo se retrouvent, eux, souvent à parler de cœurs, Similis et mondes virtuels… Certains se sont donc définitivement retrouvés à l’hôpital.
Passion
C’est pourtant bien cette césure qui permet aux nouveaux arrivants d’apprécier le jeu. Un niveau, un malfaisant en robe noire différent, clairement lié à un groupuscule, et notre héros qui ne comprend absolument pas ce qu’il se passe. La base est claire et Sora est le parfait catalyseur du joueur lambda. On a beau lui avoir expliqué ad-nauseum les tenants et aboutissants de ses nombreuses aventures, il semble définitivement en dehors de tout ça. Néanmoins, on ne peut que difficilement le blâmer : même si les mots prononcés ont du sens, on a souvent du mal à comprendre pourquoi ils les mettent les uns après les autres… Il veut aider les gens, aider ses amis, aider l’univers entier même et se moque éperdument de cette conspiration qui a démarré il y a plus de cent ans, avant même la fameuse Guerre des Keyblades. Il ne s’étonne que peu de revoir parmi les vivants des personnages pourtant éradiqués par ses soins. Kingdom Hearts III fait ainsi de son mieux pour offrir aux néophytes la possibilité de profiter de son système de combat dynamique sans se sentir trop délaissés quand viennent les moments les plus dramatiques et compliqués. Après tout, si le héros lui-même n’y comprend rien, pourquoi devrait-on être plus à même des faits ?
C’est ainsi que naît chez nous la passion que les développeurs eux-mêmes ont pour ce jeu à l’esthétique fabuleuse, bien qu’arborant un étrange effet Unreal Engine, qui se laisse s’apprécier comme un Bayonetta sous acide. La série a connu de nombreuses formules pour la visite de ses différents environnements en altérant rarement son système de combat. Le premier mettait l’accent sur la plateforme et l’exploration, pendant que 358/2 Days [Three Five Eight Over Two Days] ou χ[chi] privilégient les missions courtes et dynamiques dans des arènes relativement fermées. Kingdom Hearts III décide, lui, de jouer la carte de l’action pure et de la course poursuite infernale. Jamais un héros de la série n’aura couru aussi vite (ça c’est bien) à travers des couloirs aussi étroits et sans embranchements (ça c’est moins bien). De nombreux mini-jeux viennent ponctuer l’aventure, et bien qu’étant aussi maladroitement exécutés qu’à l’accoutumée, ils sont plus naturellement placés dans la progression. Surf, scènes de tir façon TPS, on se croirait à Disneyland avec un Fastpass deluxe. Une construction qui, bien qu’étant très agréable, va à l’encontre de la recherche méticuleuse des Lucky Emblems, ces têtes de Mickey cachées ici et là servant à débloquer des accessoires et la fameuse et obligatoire fin secrète.
Les plus grands fans de Kingdom Hearts sont définitivement ses créateurs qui ne peuvent s’empêcher d’en rajouter toujours plus. Une tradition dont on se délecte néanmoins, moins pour ce qui est dévoilé sur la suite de la saga et plus pour le spectacle offert. Les phrases ont beau avoir rarement du sens, être volontairement cryptées et frustrantes, les images happent trop le regard pour détourner l’attention. Pire, on en redemande, fous que nous sommes.
Face my Fears [Affronter mes Peurs]
L’épisode original proposait en effet aux plus motivés une vidéo bonus qui ne servait que d’idée conceptuelle pour une potentielle suite. Un sondage à grande ampleur placé sur le DVD lui-même. La séquence y était impressionnante, un personnage en robe noire arborant deux Keyblades se bat contre une horde de sans-cœurs avant de courir sur la surface d’un immeuble pour affronter un Riku aux yeux bandés. Rien d’autre qu’un spectacle issu directement de l’esprit de Nomura, de belles images n’ayant sur le coup aucune logique scénaristique… Et qui pourtant trouvera sa place logique dans l’histoire de 358/2 Days, presque dix ans après la disponibilité de ladite vidéo. On peut dire merci à toutes les réactions enthousiastes pour celle-ci, car elle est probablement initiatrice des ces multiples épisodes.
Les gars à capuche du trailer avaient plu et les enfants voulaient jouer à Kingdom Hearts sur leur Game Boy Advance. Square n’était pas partant, mais Disney voulait son argent. Qu’il en soit ainsi : la suite directe du premier opus introduisant ces « fashion victims » que sont l’Organisation XIII se retrouvent enfermés dans cette petite machine reine de la 2D. Bienvenue au véritable deuxième opus, Kingdom Hearts : Chain of Memories. Le troisième, Kingdom Hearts II, sortira, lui, sur PlayStation 2 quelques temps plus tard et commence pile là où l’opus Nintendo s’est arrêté, créant ainsi le premier gros trou narratif de la série pour ceux ne possédant pas plusieurs machines. Le spin-off portable n’en était, en fait, pas un et ce n’était que le début des problèmes ; satané monde capitaliste !
Malgré tout, la sauce prend. À la manière d’Evangelion ou Star Wars, Kingdom Hearts enchaîne les images fortes que l’on reconnaît immédiatement sans avoir besoin de toucher aux jeux. Le character design inimitable de Nomura est une chose, les scènes de glaces dégustées sur un clocher au coucher du soleil et autres parties d’échecs métaphoriques en est une autre… Sans oublier la fameuse salle de conférence blanche Colgate de l’Organisation ornée de ses gigantesques trônes (clairement pas pratiques, imaginez distribuer vos polycopiés là-dedans). L’œil est sans cesse attiré par des tableaux toujours plus émouvants et frappants, occultant la frustration que l’on peut ressentir de ne pas comprendre tout ce qu’il se dit. La bande-son, tantôt espiègle, tantôt mélancolique, voire tragique, de la talentueuse Yoko Shimomura enfonce généralement le clou. On a vu cette larme couler sur votre sourire innocent, ne mentez pas ! Qui d’autre peut se vanter de spoiler ouvertement et de manière majestueuse la fin de la future préquelle Birth by Sleep via une suite d’images incroyables, sans pour autant attiser la colère des fans ? Tout est si grand, si parfait, que la beauté pure prédomine sur le plaisir de la découverte.
Voilà les raisons du succès de Kingdom Hearts. Du Disney pour appâter le chaland, un gameplay dynamique et accrocheur pour le garder et une série de tableaux incohérents mais hypnotisants. Les plot holes s’enchaînent (un scénariste compétent aurait pourtant suffit à régler le problème), mais qu’importe, le détenteur de Mickey en veut plus et Nomura voit alors grand. PSP, Game Boy, DS, Android, NTT Domoco… Tout le monde a droit à sa part du gâteau et plus personne ne s’y retrouve, la faute à une équipe ne voulant pas d’épisode « bonus inutile ». C’est là où Kingdom Hearts III doit affronter ses peurs : être à la hauteur d’années d’attente et de clôturer efficacement des dizaines d’arcs narratifs suffisamment sombres pour empêcher la société américaine de promouvoir la série dans leurs DisneyStores, mais pas assez pour freiner la machine infernale. C’est le moment où je suis encore censée râler, le pouvoir de l’argent, mais vous avez sûrement compris l’idée. Square Enix a-t-il réussi à s’en sortir sans se perdre en route ? Des images valent tous les discours du monde :
C’est ainsi que sont accueillis les joueurs dans le jeu mobile Kingdom Hearts χ[chi] à l’occasion de la sortie de KHIII : coucou, vous avez 362 quêtes (l’équivalent de dizaines et dizaines d’heures de grind) avant de rencontrer l’un des piliers centraux du troisième épisode. Vous ne le trouverez nulle part ailleurs, si ce n’est en guest star dans le film Back Cover. N’espérez d’ailleurs pas palier votre ignorance en ne regardant que ce film, il ne fait que couvrir le premier arc narratif (sur actuellement trois) de χ[chi], mais d’un point de vue radicalement différent. La compréhension de la conclusion de la saga repose néanmoins sur ce jeu mobile. S’il vous prend alors la folie de vouloir découvrir l’histoire de cette aventure tactile, préparez-vous à devoir consommer environ 800 quêtes, 750 d’entre elles n’étant que du remplissage soporifique où vous éliminerez les mêmes ennemis sur un unique coin de carte sans la moindre once de scénario pertinent.
De ce fait, il se peut que les développeurs se soient effectivement un peu perdus en route…
Chikai [Serment]
Kingdom Hearts III commence pourtant sur les chapeaux de roues, avec ce que l’on peut considérer être un serment, celui de mettre fin à ces éparpillements scénaristiques pour en revenir à l’essentiel : pas de longue introduction, un but simple et direct qui veut probablement nous faire verser une dernière larmounette de circonstance. À la place, il échoue et semble être noyé dans son propre miasme narratif, tout en insistant sur la survie de l’ensemble du cast, que tu sois mort ou que tu n’aies jamais existé, youhou vive les happy endings. Ceci dit, mon psychologue dit que je me nourris d’énergie négative et rétorquer que cela fait de moi un sans-coeur ne semble pas améliorer mon cas. Cet élan d’optimisme était néanmoins la route la plus simple et logique vers la rédemption, il était impossible de lier de manière cohérente autant de destins différents. Sauf que voir Nomura et son équipe nous demander de combler nos méconnaissances via un jeu mobile est du jamais vu, prouvant peut-être que ce serment de « rédemption » n’est pas trop son truc, au final. L’imagerie, quant à elle, n’est plus aussi forte qu’avant (à l’exception du précité épique échiquier), préférant proposer des variantes des anciennes ou juste les répéter. Les nouvelles pistes musicales sont également rares et les remix nombreux. Enfin, la fin n’en est pas vraiment une et annonce une nouvelle saga encore plus grande. Kingdom Hearts III est moins inspiré que ses prédécesseurs, peut-être parce qu’il a pour la première fois pour but d’avancer et de répondre à des questions plutôt que d’en poser, même s’il réussit à être mécaniquement beaucoup plus moderne et amusant qu’il ne l’a jamais été. Il a à sauver des vies et pas à en détruire. Il n’a pas à raconter la tragédie d’un Birth by Sleep ou d’un Coded, mais doit en corriger les méfaits. Il doit, en fait, bien se finir : une première pour la série.
C’est ainsi que derrière la beauté de l’œuvre, l’immensité de son univers et son système de combat toujours aussi attrayant, Kingdom Hearts III manque de peu sa cible en proposant, certes la conclusion tant attendue, mais une malheureusement peu fidèle à la tragédie innée à la saga. On ne dit pas qu’on y trouvera pas de quoi utiliser quelques mouchoirs, mais plutôt que la narration prend le pas sur l’esthétique, sur l’effet de choc et qu’aucune situation comparable au sacrifice d’Axel suivi de la mort de Roxas et Naminé après la victoire-échec de Xemnas n’est à l’horizon.
L’aventure y reste néanmoins plus que plaisante, il est le troisième opus tant attendu, et comme pour tout œuvre de Nomura, cette critique a en fait été écrite par mon Simili venant directement du futur du monde numérique alternatif de mon sans-cœur, il est probable qu’il vous ait guidé à croire certaines choses ici et là, pendant que la vraie Marynou, moi, ait pleuré de joie du début à la fin. C’est le jeu de l’année. On aura pas mieux. Aqua et Xion sont mes waifus. Cette fin d’article n’a pas de sens, peut-être devrais-je en écrire un autre ? Kingdom Hearts forever.
Marynou
Points forts :
– Graphiquement fabuleux
– Une esthétique incroyable
– Les thèmes d’Utada Hikaru
– Kairi sert à quelque chose… un peu ?
– Un gameplay véritablement fun. Ça n’aura pris que 11 épisodes
– Touchant
– Émouvant
– Bouleversant
– Beaucoup de points obscurs du scénario expliqués à plat
Points faibles :
– OST en dents de scie
– Trop court (tout est relatif)
– Peut aimer parler dans le vide
– Final Fantasy manque de peu Disney
– Un poil trop linéaire
– Sora a une tête à claques
– TOUT LE MONDE DOIT VIVRE, OUAIS ! Où est mon Xanax, déjà ?
La note : 18/20
Éditeur / développeur : Square Enix / Square Enix
Genre : Action RPG
Plateforme : PlayStation 4, Xbox One
Date de sortie : 29 janvier 2019
Et si je dis Nomura, c’est bien parce que c’est lui qui écrit tout de A à Z. Il l’a avoué. « Le lore est trop compliqué ». Qu’un game designer / chara designer s’occupe intégralement de l’écriture pose clairement problème.
Le pire que c’est que beaucoup des trous laissés sont commentés largement dans Union X, le jeu mobile. L’histoire vient de là. C’est ridicule. Je hais cet épisode que je suis depuis 3 ans juste pour l’histoire.