Test : Fragments of Him (PC)

fragments-of-him-0Sortant tout juste de Dark Souls 3, je souhaitais m’atteler à un titre plus léger, moins chronophage et qui soulagerait mes petits nerfs, sacrément malmenés par le titre de From Software. C’est alors qu’a débarqué Fragments of Him, un jeu d’aventure narratif sans puzzles qui se boucle en 2 heures. Ma première réaction : où est-ce que je signe ?

Bon, je me suis un peu fourvoyé dans le léger, car Fragments of Him s’inscrit dans la droite lignée des walking simulators à forte teneur en émotions, comme Gone Home ou, plus proche dans le fond comme dans la forme, That Dragon, Cancer.

Bits & pieces

Ouais, donc FoH, c’est pas la grosse marrade : au tout début du jeu, William, jeune anglais d’une trentaine d’années, meurt brutalement dans un accident de voiture. Le titre entend alors étudier comment ses proches (sa grand-mère, son ex-copine, son compagnon avec lequel il souhaitait se marier) vivent cette mort soudaine, aussi injuste que banale, à travers un portrait chinois de William ; chaque personnage racontant des souvenirs liés au jeune homme. Les évènements relatés s’inspirent d’une expérience similaire du créateur du jeu, Mata Haggis, sans que cela soit entièrement autobiographique. Aborder le deuil dans le jeu-vidéo est une idée novatrice, complexe et surtout casse-gueule : et malheureusement, c’est le cas car le studio Sassybot s’est méchamment rétamé la tronche sur le bitume.

La grand-mère évoque donc l’enfance de William, le bambin ayant grandi en partie avec elle, les espoirs qu’elle plaçait en lui, sa déception au moment de son coming out involontaire (elle le surprend en train d’embrasser un jeune homme sur le campus de l’université)… Une mamie coincée dans son époque, qui ne comprend pas son petit-fils, faisant d’elle le personnage le plus agaçant du lot et une piètre entrée en matière, puisqu’il s’agit du premier personnage jouable. Il est important de noter que le joueur ne contrôle pas directement ces personnages, mais une entité invisible et omnisciente qui lui permettra d’assister aux souvenirs de chacun.

Car le jeu s’articule autour de William et de sa dernière journée, et des trois autres personnages décrits, chacun correspondant à une période charnière de sa vie : Mary la grand-mère et la jeunesse ; Sarah l’ex-copine et les années de fac, avec la découverte de la bisexualité pour William ; et Harry le boyfriend et la vie d’adulte, où William repense ses engagements, passés et futurs (la partie la plus intéressante et malheureusement la plus courte). Un jeu à thèse, donc, qui voudrait avoir la portée émotionnelle de That Dragon, Cancer mais qui échoue lamentablement, la faute à nombre défauts rédhibitoires.

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Flow & flaws

Tout d’abord, la narration, totalement détachée des évènements décrits : tout est raconté au passé et les acteurs échouent à transmettre l’émotion de tel ou tel moment de la vie du jeune homme, par leur ton monocorde (surtout la mémé) et leurs dialogues peu inspirés. En résulte une mollesse qui, ajoutée aux déplacements digne d’une tortue asthmatique, donne à l’ensemble une teneur léthargique, peu remuante : s’il est effectivement possible de « sprinter », cela ne sauve malheureusement pas le feeling général d’une lenteur très irritante. Cependant, on retiendra un passage en ombres chinoises très chouette : un conte moralisateur raconté par la grand-mère à l’enfant pour s’endormir, seul moment où le jeu s’autorise une audace formelle, très réussie.

Ensuite, dans son concept même, où il faut cliquer sur des objets du décor et personnages pour les faire apparaître/disparaître et ainsi faire avancer la narration, on trouve un énorme problème qui devient vite insurmontable. Cette logique d’apparition/disparition ne prend tout son sens que pendant l’une des dernières séquences du jeu (voir plus bas), mais n’est que rarement cohérente lors des chapitres précédents. On se retrouve à cliquer sur des éléments de décor plus ou moins arbitrairement, juste pour pouvoir passer à la ligne de dialogue suivante, sans que cette mécanique n’apporte quoi que ce soit à l’expérience. Et comme les dialogues ne sont pas folichons, je vous laisse imaginer l’enthousiasme du joueur quand il voit une vingtaine d’éléments interactifs dans une scène !

Ce qui est l’antithèse exacte de That Dragon, Cancer qui proposait un gameplay différent selon les séquences de jeu, démultipliant par là l’impact de ces scènes, grâce à l’adéquation entre les mécaniques de jeu employées et le message que les développeurs voulaient transmettre (le simili-Mario Kart où il faut récupérer des médicaments pour illustrer le traitement de l’enfant, le plateformer où il est impossible de battre le dragon, la déchirante séquence où les parents du petit apprennent le retour du cancer…) : ici, on répète ad nauseam ces apparitions/disparitions et, par cette répétition, on les vide de leur sens, jusqu’à réduire à peau de chagrin l’impact de LA séquence parfaite pour cette mécanique. J’ai rarement vu une si bonne idée gâchée avec telle opiniâtreté.

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Le Syndrome Game Jam (bis)

Ce moment incroyable, c’est Harry, fou de douleur par la perte de William, qui veut l’effacer de son existence : on doit alors faire disparaître tous les éléments de l’appartement un par un ; puis, une fois que Harry finit par accepter cette perte contre laquelle il ne peut rien, il faut reconstruire leur intérieur, avec les mêmes éléments. C’est une séquence véritablement aussi brillante que touchante, mais qui se retrouve diminuée par le reste du jeu : elle est d’ailleurs, à l’origine, le prototype du jeu, créée lors d’une game-jam. Ce qui m’amène à me demander s’il n’aurait mieux pas valu se contenter de cette scène très forte, de réduire les autres parties (franchement inintéressantes pour certaines), pour aboutir à une très courte expérience mais dont le sens n’aurait pas été dilué par une répétition vaine de sa mécanique centrale.

On arrive une fois de plus au constat désolant que certaines idées nées de game-jam n’ont finalement que peu d’intérêt dans un titre plus long, vendu dans le commerce. Un peu comme ces courts-métrages qui profitent pleinement de ce format immédiat et percutant, mais qui s’essoufflent quand étirés artificiellement en un film de cinéma.

Je passe un voile pudique sur la partie technique – là encore, avec une équipe de taille similaire, That Dragon, Cancer se place très loin devant – particulièrement laide et dont la direction artistique bien trop fade n’arrange rien : le choix d’un sépia tirant sur le gris-terne-moche et les modèles pas-super-détaillés-mais-un-peu-trop-quand-même confèrent un look générique de mod Source codé à l’arrache (ne vous fiez pas aux screens qui ornent cette critique, photoshoppés à mort (1)). Reste que se dégage des décors une agréable impression de familiarité, de quotidien universel, dès lors que l’on ne regarde pas trop près.

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Vous trouvez certainement que j’accable injustement le titre de Sassybot, mais j’ai beau essayer de ménager la chèvre et le chou, je ne peux décemment pas vous recommander l’achat du titre (même pour 10 €). On pourrait me rétorquer que comme je n’ai (par bonheur) pas connu une perte telle qu’elle est décrite dans le jeu, je ne peux comprendre à quel point Fragments of Him touche juste : à ceux-là je répondrai que je n’ai pas perdu d’enfant des suites d’une leucémie et que cela n’a pas empêché That Dragon, Cancer de me bouleverser, au point de pleurer comme une madeleine sur une bonne moitié de l’histoire.
Non, les défauts intrinsèques et indépassables de Fragments of Him ne peuvent que m’amener à conclure qu’il n’est tout simplement pas un bon jeu, comme cela arrive, en dépit des meilleures intentions de Sassybot.

Go-Ichi

(1) Oui, j’ai eu la flemme de relancer le jeu pour faire des captures d’écrans et j’ai repris ceux du site officiel, TUVAFERKOI ? (2)

(2) Le jeu est en réalité très aliasé, ce qui rend très moche en screenshot.

Points forts :
– Son sujet
, rarement traité en jeu-vidéo.
– La séquence avec Harry, où il faut effacer toute trace de William, et le conte en ombres chinoises.

Points négatifs :
– Le traitement du sujet, bien trop lénifiant.
– Une mécanique centrale répétée ad nauseam et vidée de son sens.
– Une partie technique et artistique complètement ratée.

La Note : 08/20

Éditeur/Développeur : Sassybot
Genre : Walking-simulator
Supports : PC (Windows)
Date de sortie : 03 mai 2016

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